plats, et des baguettes placées devant nous, mais on vint à
notre aide en nous apportant des fourchettes, placées en réserve
pour les convives européens. Il paraît que la population hollandaise
de Batavia ne dédaigne pas de venir visiter ces restaurants,
où certaines préparations jouissent d’un grand renom.
Avant de quitter le campong chinois , nous retournâmes au
théâtre. La représentation continuait, mais elle avait tourné au
tragique. On voyait trois femmes éplorées poursuivies par un
homme qui les menaçait avec un sabre. Elles pirouettaient sur
elles-mêmes, en simulant un grand effroi, et en poussant des
cris lamentables ; leur farouche persécuteur imitait' leurs mouvements
en roulant des yeux féroces ; après quelque temps passé
dans ces contorsions, il finit par les tuer. Certes, à en juger
par cet échantillon, les Chinois se trouvent au niveau des lugubres
péripéties de l’art dramatique en France.
On m’a assuré que certaines pièces représentées sur ces
théâtres, durent souvent tout un mois. Elles retracent l’histoire
de tout un règne, et embrassent quelques fois une période de
temps plus longue encore. Je ne sais jusqu’à quel point cette
assertion est fondée, car l’Européen qui m’a communiqué ces
détails, ne connaissait point lui-même le chinois. D’après la
même personne, les femmes qui remplissent exclusivement les
rôles de ces pièces, sont des Malaises qui ont appris le chinois,
sous la direction des personnes qui les élèvent pour cet état.
L’ile de B a li paraît avoir le privilège de fournir un grand
nombre de ces actrices , qui , comme partout, trafiquent de
leurs charmes, et qui, lorsqu’elles sont jolies, en retirent des
sommes considérables. La condition d’actrice: ne paraît pas
dégrader les femmes qui l’exercent 5 les femmes jouissent d’ailleurs
d’une très-faible considération dans la société chinoise.
Au contraire, les actrices sont recherchées , et on a vu souvent
de riches marchands les épouser. Les représentations du théâtre
n ’ont lieu qu’à certaines époques. Leurs frais sont supportés par
les Chinois opulents de la ville, qui se cotisent dans ce b u t,
à l’époque des grandes fêtes religieuses, ou à l’occasion de réjouissances
particulières. Le gouvernement hollandais impose
ces représentations d’un droit qui atteint, m’a t-on dit, le chiffre
de deux cents florins.
Les gestes des acteurs ne varient pas dans tout le cours du
dialogue. Élever les bras, les baisser lentement par un mouvement
subit , replier, la manche flottante de" leurs robes sur le
bras, accomplir force salutations dans toute la rigueur du cérémonial
, les comprennent presqu’en entier. La diction est aussi
disgracieuse que monotone pour nos oreilles. Le ton est criard,
aigre et discordant. La langue • chinoise contient un grand
nombre de consonnances nasales qui la rendent désagréable et
disgracieuse....
Ce sbir on me conduit, ainsi qüe quelques-uns des officiers
de l’expédition, dans un lieu où les Chinois vont fumer l’opium*
Nous nous faisions une autre idée de cet établissement qui n’a
pas de nom dans les termes honnêtes de la langue ; là les scènes
les plus repoussantes s’offrent aux regards des curieux. De
petites chambres divisent l’édifice, en autant de compartiments,
où des femmes attendent les fumeurs dont elles partagent la
passion. On nous a montré un couple plongé dans une ivresse
complète, et je me rappellerai toujours l ’air égaré, la contenance
effarée de ces deux individus. Le Chinois paraissait plongé dans
une sorte de béatitude particulière. Il proférait des mots sans
suite, ses yeux se promenaient sur nous sans s’arrêter, il paraissait
étranger à ce qui se passait autour de lui, et comme absorbé
danslacôntemplation d’objets invisibles pour nous. Cette ivresse
est moins dégoûtante que celle du vin, mais plus effrayante.
La physionomie paraît moins abrutie, les traits épanouis
respirent la félicité, mais eh les examinant de près , il me semblait
découvrir une expression étrange de joie et de tristesser
L’oeil semblait dilaté sous sa paupière alourdie ; et lorsque le fu