et cela après avoir vingt fois risqué de nous casser le
cou sur des ponts de bambous ployant sous nos pieds;
pour mon compte, j’eusse été très-peu flatté de terminer
ma soirée dans les eaux boueuses et chargées
d’immondices du canal Ryswick.
»Le lendemain, après dîner, nous partîmes comme
d’usage, laissant à nos cochers le soin de diriger notre
promenade ; après avoir parcouru la ville quelque
temps, ïe nôtre prit une magnifique route sablée
et bordée de beaux arbres et de jolies maisons. Nous
allions un train de poste, et bientôt nous eûmes laissé
derrière nous toutes les habitations. Nous ne savions
pas trop où nous allions, mais nous étions parfaitement
à notre aise dans une excellente voiture, et
nous nous laissions traîner. Après avoir fait près de
deux lieues, le cocher nous arrêta devant quelques
cases en bambou de chétive apparence, le valet de
place vint nous ouvrir la portière en nous chuchotant
à l’oreille, avec un mystérieux sourire, mystern Corn-
lis, puis il nous conduisit à travers une ruelle infecte
et boueuse dans un assez grand village, au milieu
duquel était un bazar éclairé par des torches 1 des Javanais
armés, des Chinois, circulaient en silence,
nous jetant des regards sombres, comme si nous ve-
nions les déranger. Après avoir passé en revue toutes
ces figures, nous suivîmes notre guide dans une rue
très-étroite, il nous introduisit dans une maison de
mauvâîse apparence, par une porte tellement étroite,
qu’ilfallait s’effacer pour y passer; là, nous nous trouvâmes
dans un long corridor à peine éclairé et garni à
droite'et à gauche de petites cabines dont l’intérieur 1839.
était masqué par des rideaux ; nous étions à nous Ju
demander si nous n’étions pas tombé dans un guet-
apens, et ce que tout cela signifiait, lorsque nous vîmes
arriver, ou plutôt ramper jusqu’à nous, uné
basse et vile figure de Chinois Y le drôle fit allumer P1* cxxxn.
une foule de petites lampes que fions n’avions pas
aperçues, puis, tous les rideaux se tirèrent comme
par enchantement : chaque cabine contenait une odalisque
demi-nue, couchée sur une natte, ou mollement
appuyée’ sur uné pile de petits coussins. Ces
femmes étaient belles. Nous Sommes généralement
assez indulgents, nous autres marins, pour ces sortes
de peccadilles, mais tout cela était d’une obscénité
si grossière , que nous en fûmes révoltés. C’était
cependant chose très-simple pour ces javanais,
Cës Chinois. Ces femmes qui, dans nos contrées civilisées
, sont accablées de honte et de mépris, ne
croient pas du tout faire un métier infâme ; elles
sont jeuûes, jolies'; elles se livrent en trafiquant
de leurs charmes ; C’est le beàu temps de leur jeunesse,
puis viendra le mariage, et elles garderont
religieusement la foi conjugale, La Chose me paraît
cependant si monstrueuse, que j’ai peine à y
croire.
»11 existe à Batavia plus de vingt de cës harem, et
celui-ci est Un des plus à la njode.
» A en juger par cet échantillon, on aura dne triste
idée du beau sexe javanais. Pour l’honnetir de l’espèce,
il faut croire qu’ily a des exceptions. Au reste, dans