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Mal. et voici comment : je lui avais promis de lui donner
mes foulards, si, guidé par lu i, je parvenais à
tuer un cochon; or, jusque-là et tant que le cochon
apporté par les naturels n’eut point été livré
il ne jugea pas à propos de me rappeler ma promesse
; mais aussitôt qu’il eut touché le prix de son
marché, il vint me réclamer mes foulards en
m’assurant que c’était moi qui avais blessé ce cochon
qui avait péri ensuite dans la forêt. Dans tous
les c a s, le but principal était atteint, l’équipage
pouvait avoir deux repas de viande fraîche ; toutefois
je reçus assez mal VOrang-Kaya, et je gardai
mes foulards, car nous voulions demander à Safi-
Rouddin encore quelques services qu’il devait se
faire largement payer.
« Nous devions appareiller le lendemain de grand
matin; la dilRculté de regagner le bord pendant
la nuit pour être prêts au moment du départ, me
faisait hésiter à la passer à terre; je m’y décidai
pourtant; M. d’Urville nous offrit à cet égard toutes
les facilités désirables ; il me promit de nous attendre
, et d’envoyer une embarcation nous prendre au
cas où nous ne pourrions pas atteindre Y Astrolabe
dans une pirogue du pays ; il nous donna en outre
un homme armé d’un fusil de munition pour nous
aider à transporter le gibier que nous pourrions
tuer ; et enfin, par des cadeaux splendides, il obtint
de Safi - Rouddin la promesse solennelle de
nous faire ramener avec notre chasse à nos bords
respectifs. Aussi, malgré les reproches que j’avais
DANS L’OCEANIE. 167
adressés à ce chef, fûmes-nous bien vite les meilleurs
amis du monde; il poussa même la générosité
jusqu’à nous prêter sans contribution aucune
sa vaisselle consistant en une grande marmite en
terre ; il est vrai que c’était pour y faire cuire des
poules et des pommes de terre qu’il nous avait vendues
le quintuple de leur valeur, et qu’enfin, après
s’être assuré que nous ne cuisions point de lard, il
s’était invité à notre table , où il but du vin comme
un bon chrétien , et un vrai connaisseur.
« A huit heures nous nous étendîmes, au nombre
de quatre, sur les nattes que Safi-Rouddin nous fit
placer sur le plancher. A notre grande satisfaction
il ne jugea point à propos de nous donner la représentation
des scènes de la veille, et nous pûmes
dormir d’un sommeil paisible; à minuit chacun
de nous avait pris un poste sur la grève. La
mer commençait à se retirer, les cochons poussaient
des cris effrayants dans toute la forêt, on
eût dit que nous étions au milieu d’une légion de
ces animaux, et qu’ils se livraient entre eux des combats
à la suite desquels les blessés jetaient des cris
aigus et perçants. La nuit était des plus noires ; de
tous côtés nous entendions les broussailles du rivage
s’agiter ; cependant rions ne pouvions apercevoir
que ceux de ces animaux qui venaient presque
nous toucher.
« J’occupais le poste le plus rapproché du village ;
venaient ensuite M. Lafond, puis M. Ducorps, et
enfin le matelot Boutin était près de la rivière qui
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Mai,