
 
        
         
		VOYAGE 
 i   t:  î 
 1839. 
 Mai. 
 rant  d’air  qui  neutralisait  presque  l’effet  d’un nombre  
 considérable  de bougies  et de lampes  qu’on avait 
 placées  tout autour. 
 «  Au milieu de  la  salle,  on  voyait plusieurs  tables  
 en bois rouge  et à peu près circulaires,  sur lesquelles  
 lajgastronomie  chinoise  avait  réuni  toute sa  science  
 culinaire,  tous les fruits de la saison ;  chacun pouvait  
 prendre  place  au  festin  et  manger  à  son  a ise ,  des  
 confitures,  des  sucreries,  du  riz ,  des tripangs,  etc.  
 Au  r e s te ,  il  y  avait  là  des  convives  dont  l’appétit  
 reconnaissait  à  merveille  la  franche  et  large  
 hospitalité  du  maître  de  maison ;  ils  causaient peu  
 pendant  le  repas,  car  ,  selon  les  Chinois,  chaque  
 chose  a  sonMemps,  on  se  met  à  table  pour manger  
 et non  pour  échanger  ses  idées. 
 «  Pendant  que  chacun  de  nous  regardait  cette  
 scène  nouvelle  et animée,  le bon  vieillard  qui  nous  
 avait  servi  d’introducteur  nous  présenta  son  fils.  
 C’était un jeune homme de vingt ans  à peu près, dont  
 le  type  de  figure  offrait  un mélange  de traits chinois  
 et malais;  il allait se marier,  et  c’était pour  célébrer  
 cet  événement  que  les  portes  de  la  maison  paternelle  
 restaient  ouvertes à tous  ses  amis,  à  toutes  ses  
 connaissances.  La  coutume  ordonnait  de  les  traitei  
 le plus magnifiquement possible pendant trente jours,  
 il fallait donc  s’y conformer. 
 «  Le  jeune  marié  nous  fit  les  honneurs  du  logis  
 pendant  que  son  vieux père  allait vaquer  a d autres  
 soins ;  il  nous  offrit  tout  d’abord  de  nous mettre  à  
 table,  mais  voyant bientôt  que  notre  appétit  ne  répondait  
 pas à  son attente,  il nous  conduisit dans une  
 façon  de  sanctuaire  qui  occupait  le  fond  du  grand  
 appartement,  dont il était séparé par une balustrade. 
 «  Notre  approche mit  en  déroute  un  bataillon  de  
 femmes qui  s’y  étaient  réfugiées  pour jouir  du  coup  
 d’oeil  du  festin  :  elles  s’échappèrent par deux  portes  
 latérales  qui  conduisaient,  sans  doute,  dans  les  appartements  
 intérieurs  :  au  fond  de  cet  atrium  réservé  
 et  au-dessus d’une espèce  d’autel,  on voyait  l’image  
 de Confucius.  Ce  philosophe  était  représenté  
 assis  et  comme  ayant  l’air  d’écouter  un  personnage  
 au regard  furibond qui se  tenait derrière  lui. L’autel  
 était  d’ailleurs  chargé  de  divers  ornements,  parmi  
 lesquels je  remarquai  plusieurs beaux  vases  en porcelaine  
 chinoise  et  un  bon  nombre  de marmousets  
 et  autres  diableries ;  des  cierges  en  cire  rouge  et  
 bleue projetaient leur  lumière incertaine et tremblot-  
 tante  sur  cet  ensemble bizarre,  mais curieux.  Pour  
 relever  un  peu  le  nu  des  murs  du  petit  appartement, 
   on  avait  suspendu  çà  et là  quelques  tableaux  
 plus  ou  moins  grossièrement  peints,  qui  ne  donnaient  
 pas  une  haute  idée  du  bon  goût  et  des  connaissances  
 en  perspective  des  artistes  chinois;  un  
 d’entre  eux  fixa mon  attention  plus  que  tous les  autres  
 ensemble ;  c’était  la  réunion  de  tous  les  pavillons  
 nationaux  des  peuples qui  viennent  commercer  
 dans  ces mers  éloignées ;  je  cherchai  inutilement les  
 couleurs  françaises, elles ne  s’y  trouvaient pas,  probablement  
 parce qu’elles  sont peu ou  point connues  
 dans  ces parages. 
 3 839.  
 Mai.