183'J.
Mai.
cette mission à un esclave ; il comptait prendre des
mains de ses acolytes son fusil tout chargé pour faire
feu aussitôt qu’il apercevrait les cochons ; il restait
à savoir si ceux-ci eussent attendu pour se faire
tuer le bon plaisir de ce radjah au petit pied.
Du reste , en accourant vers nous il trouva la plage
deblayée, et à notre grand regret il ne put avoir
l’occasion ni de nous rendre témoins de son adresse,
ni de mériter par ses services les deux foulards
rouges que je possédais et qui étaient l’objet de sa
convoitise.
« Il était grand jo u r , nos coups de fusil avaient
fait accourir sur la plage un grand nombre des naturels
que nous trouvâmes entourant l’animal que
M. Lafond avait tué sur place. Nous nous félici-
tcimes d’abord à la vue de ces nouveaux arrivés ,
espérant qu’ils nous seraient d’un grand secours
pour transporter notre gibier jusqu’au débarcadère;
mais à nos propositions les fanatiques musulmans
ne répondirent que par des cris d’horreur en nous
montrant leur turban; nous essayâmes les promesses
les plus séduisantes pour les décider à traîner
cet animal le long de la plage jusqu’au village, sans
y toucher, mais ces nouvelles propositions n’eurent
pas plus de succès que les premières. Il fallut même
les combler de présents pour les amener à nous prêter
un bachot destiné à couper un morceau de bois,
avec lequel M. Lafond et moi nous dûmes enlever
notre gibier que la mer menaçait de couvrir à la
marée haute.
« En arrivant dans le village tous les hommes
fuyaient devant nous comme si nous eussions été atteints
de la peste ; le chef ne nous permit de rentrer
dans sa maison que lorsqu’il nous eut vus nous purifier
par maintes ablutions dons nous avions du reste
grand besoin et que nous nous prodiguâmes avec
autant d’empressement que si nous eussions été
de fervents musulmans. Le cochon étendu sur la
plage au milieu du village paraissait être l’objet
d’une si grande horreur que le chef accorda sans
peine à notre cuisinier une embarcation pour le conduire
à bord de VAstrolabe ; on couvrit la pirogue
de nattes dans tous les sens, afin qu’elle ne fût
point souillée par le contact de l’animal immonde,
et bientôt elle s’éloigna du rivage à la satisfaction;
de tous.
« Une heure après les canots majors des corvettes
arrivaient à la p la g e , conduisant ceux de MM. les
oificiers qui n’étaient point retenus à bord par le
service. Quel ne fut pas mon étonnement lorsque
je vis accourir de la forêt plusieurs naturels portant
sur un bâton un cochon dont ils vinrent proposer
l’acquisition. Quelques paquets de poudre
en étaient le prix, il fut bientôt enlevé. Or, ce
cochon était celui que j’avais tué le matin; les
naturels l’avaient trouvé sans vie dans le bois, ils
avaient surmonté l’horreur que leur inspirait cet
animal dont ils espéraient un bon prix, et ils l’avaient
apporté au village. Safi-Rouddin me
même l’aveu le plus complet de cette supercherie