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Je chargeai de nouveau mon fusil : je mis dans chaque canon
une double charge de plomb et de poudre, et je m’avançai. L’animal
avait repris sa première position : il s’était roulé sur lui-
même comme auparavant. Mes deux coups de fusil ne paraissaient
pas avoir produit beaucoup d’effet. J’ajustai, comme la
première fois, dans la masse, et je tirai mes deux coups pres-
qu’en même temps. Une détonation terrible eut lieu. Le monstre
tomba avec fracas, brisant plusieurs grosses branches plutôt
par ses contractions que par son poids. J’avais déposé aussitôt
mon fusil, et, le bâton à la main, j’allais m’avancer ; mais mon
ennemi était loin d’être mort : à peine sur le so l, il se mit à
glisser avec facilité, et s’avança un peu à ma droite vers une
mare d’eau remplie de racines de mangliers. Je vis le moment
où il allait m’échapper ; aussitôt je m’élançai le bâton levé, et
lui assénai avec rapidité plusieurs coups. A cette attaque imprévue,
il se redressa vivement et s’élança à son tour sur moi.
Alors un véritable combat s’engagea.
Le boa s’était dressé à ma hauteur, ouvrant une large gueule
ensanglantée et gai’nie de dents aiguës. A la rapidité de ses mouvements
, je vis que mes quatre coups de fusil l’avaient fort peu
blessé, et que j’avais besoin de toute mon adresse et de tout mou
sang-froid.
Je frappai sans relâche de toute la vitesse de mon bras. Chaque
fois qu’il s’élançait contre m o i, une grêle de coups de bâton
lui tombaient sur la tête : quelques-uns bien dirigés le faisaient
courber jusqu’à terre ; mais il se relevait aussitôt et s’élançait
aussi vivement. Il paraissait ne rien perdre de ses forces, et sa
queue battait le sol avec fureur.
Quant à m o i, il n’en était pas ainsi : je me sentais fatigué. A
chaque coup que je portais mon bâton me semblait plus lourd ;
il arriva même un moment où ma position devint critique :
mon bâton s’était fendu par l’extrémité, la fente s’élargissait à
chaque coup , et la force en était considérablement diminuée.
Je sentis qu’il fallait en finir : m’étant vivement reculé, je saisis
le bâton tout sanglant par l’extrémité fendue, et je revins à
la charge avec impétuosité. En moins de quelques secondes,
cent coups frappent le monstre : ses mouvements se ralentissent,
et enfin il reste étendu sur le sol.
J’avais eu un moment de crainte = ces animaux sont ordinairement
accouplés; le second aurait pu survenir. Heureusement
il n’en fut rien.
Quoique mon ennemi me semblât bien mort, je n’osa, encore
me hasarder à le toncher. Je fis avee le cordon de ma poire à
poudre un noeud coulant, suspendu au bout de mon bâton, et
V ayant fait entrer la tête du serpent, je serrai. A ce m oment, il
fit une légère contraction j et telle est la force de ces animaux ,
que mon cordon, de la grosseur d’une forte plume à écrire, fut
cassé comme un fil.
Quelques nouveaux coups éteignirent bientêt cliei lui tout
mouvement. Je pus alors l’examiner à loisir i il avait environ
d o u t e p i e d s de longueur, et était gros à proportion; sa peau ,
lisse et luisante, était en dessus d’un vert brun, et jaune clair en
dessous.
Lorsqu'il faUut regagner le rivage, je m’aperçus que , dan
l’ardeur de la cha'sse, je m’étais complètement égare, et le soled
étant caché par d’épais nuages, j’étais tout à fait désoriente.
J’arrivai cependant avec beaucoup de peine au lieu ou nous
avions débarqué. Plusieurs officiers des deux navires prenaient
un bain en attendant le moment de retourner à bord ; une touife
de grandes herbe, me séparait d’eux : j’entorüllal mon serpent
autour de mon cou et de mes épaules, et je me présentai tout a
coup dans la pose de Laocoon.
Je produisis beaucoup d’effet.
Arrivé, à bord, le boa fut ceoiclié ; sa peau fut mise dan.
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