viennent jeter en mendiant aux rares navires qui viennent relâcher
sur leur côte.
Mais nos amis d’Albion ne sont pas gens à se rebuter pour si
peu, ils ont bravement plié bagage et sont allés chercher fortune
ailleurs : à trente milles plus au sud ils ont trouvé un point qui
leur a paru plus convenable, et ils y ont planté tentes et drapeau;
nous verrons plus tard ce qu’ils y ont fait.
Le but apparent des Anglais dans ces essais de colonisation
est tout philanthropique : ils veulent un port qui puisse offrir
un asile aux équipages des bâtiments qui se perdent dans le
détroit de Torrès, mais ils convoitent depuis longues années les
belles îles aux épices des Hollandais, et ils ont pensé qu il serait
bon et sage d’avoir un établissement à leur porte d’où en temps
opportun ils puissent lancer une forte escadre sur Java et les
Moluques ; et puis Raffles-bay est sous la même latitude ; pourquoi
les Malais, les Chinois n’afflueraient-ils pas dans un port
franc ? et par la suite on pourrait y naturaliser la muscade, le
poivre et le girofle. Telles étaient probablement les considérations
qui avaient entraîné la colonisation ; mais soit incapacité,
soit qu’on eût été mal renseigné, comme port, comme culture
et comme point militaire, on ne pouvait pas plus mal choisir.
Le pays ne produit rien ; et le moyen de penser que les Chinois,
les Malais abandonneraient leurs belles îles, leur existence
calme et douce sous un gouvernement paternel, pour venir, dans
un pays sec et aride, se placer sous la férule anglaise ? c’était là
uue idée extravagante. Ils voulaient naturaliser les épices, les
Hollandais les eussent probablement laissés bêcher, planter, sans
s’en émouvoir le moins du monde, puis aussitôt qu’ils eussent
commencé à recueillir (en supposant que leurs plantations
réussissent, ce que je ne crois pas), ils eussent alors diminué
ou aboli pour quelque temps le monopole ; ils auraient ainsi pu
livrer leurs produits à un prix très-modique, et alors que seraient
devenues les récoltes des Anglais , qui leur auraient coûté
tant de peines et d’argent? Comme point militaire, la baie
Raffles est on ne peut plus mal choisie : les eaux iTen sont pas
assez profondes pour les frégates et les vaisseaux , et elle est si
spacieuse qu’il serait impossible de la défendre.
Le 3 0 , Lafarge, Goupil et m o i, tous les trois bien armés,
nous mîmes en route de grand matin pour explorer le pays et
courre le kangourou, que l’on disait très-commun : nos chalou-
piers en avaient vu plusieurs à Taiguade, Nous nous enfonçâmes
assez avant dans l ’intérieur, bien décidés à bivouaquer sous un
arbre si la nuit nous surprenait trop loin de la plage. Partout
sur notre passage nous trouvions la végétation la meme : des
arbres de moyenne hauteur assez espacés entre eux et de hautes
herbes qui nous arrivaient à la ceinture ; des perroquets de
toutes couleurs remplissaient les bois de leurs cris rauques. Vers
onze heures, nous nous estimions à près de deux lieues de la mer,
lorsque nous tombâmes au m ilieu d’un groupe de quinze a vingt
naturels : ils étaient accroupis autour d’un feu sur lequel cuisaient
un gros lézard et des coquillages ; ils se levèrent à notre
approche et vinrent au devant de nous; comme ceux que nous
avions vus à bord, ils étaient entièrement n u s, quelques-uns
avaient à la main de grossières lances barbelées, d’autres portaient
de petites hottes sur le dos. Nous tâchâmes de leur faire
entendre que nous désirions aller à leurs cases, mais soit crainte
de nos armes, soit qu’ils n’en eussent pas, ils ne purent ou ne
voulurent nous comprendre. Il y avait parmi eux deux femmes,
ouplutôtdeuxfemelles,quiparaissaientpleinesdebonnevolonté:
pour une galette de biscuit il n’est sorte de faveurs qu’elles ne
nous eussent accordées. Les malheureux, comme à bord, nous
montraient deux rangées de dents blanches comme des perles
et se serraient le ventre; mais pour ne pas nous charger, nous
n’avions emporté que tout juste ce qu’il nous fallait, et nous
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