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1839.
Avril. ni de maisons, et nous nous croyions seuls dans cette
vaste solitude, lorsque nous entendimes le bruit d’un
gong dans le lointain. Bientôt nous aperçûmes un
prao de petite dimension, surmonté par deux mâts,
ornés de banderoles en étoffes de différentes couleurs.
Ces mâts étaient terminés par une petite spbère
faite avec des tresses de bananier, et sur le bateau
s’élevait une plate-forme sur laquelle nous voyions
trois naturels, tenant une lance â la main, qui se
balançaient sur leurs jambes sans changer de position.
Deux hommes accroupis au fond de la barque complé-
taientl’équipage de ce singulier bâtiment. Ils faisaient
mouvoir deuxlonguespagaiesetjoignaientleursefforts
â ceux de plusieurs autres pagayeurs qu i, placés dans
une petite pirogue destinée â remorquer le prao, imprimaient
â tout ce système un mouvement très-lent. Nous
eûmes peu de peine â nous approcher de ce convoi bizarre
; nous y remarquâmes une grande quantité de
lances ou piques en fer bien travaillé, emmanchées à
de longs morceaux d’un bois dur et pesant au moyen
de viroles en étain bien ciselées ; des arcs et des paquets
de flèches pour la plupart aussi garnies de fer complétaient
l’armement. Il nous fut facile de reconnaître
aux objets qui composaient cet attirail de guerre
que ces hommes faisaient de fréquentes visites au
camp des Malais, oû ils s’étaient procuré toutes ces
armes d’une fabrique évidemment étrangère aux
îles Arrou. A notre approche le gong se tut; tous ces
hommes suspendirent un instant leur burlesque pantomime;
du reste ilsuousaccueillirentfavorablement.
Ne pouvant nous faire comprendre, nous essayâmes
de leur demander par signes la direction que nous devions
suivre pour trouver un endroit convenable pour
y passer la nuit ; j’ignore tout à fait ce qu’ils comprirent
de nos gestes, mais aussitôt que nous eûmes parcouru
quelques mètres dans la direction qu’ils semblaient
avoir voulu nous indiquer, la pirogue remorqueuse
se détacha pour nous prévenir que vers le
point oû nous allions, nous ne rencontrerions que
de l’eau et des arbres, mais pas un coin de terre,
pas une maison pour y dormir. Nous nous étions déjà
assez approchés du rivage pour nous assurer par
nous-mêmes que cette fois leurs indications étaient
exactes, aussi nous nous hâtâmes de changer de
route, à leur grande satisfaction, et nous nous rendîmes
dans le canal que nous avions mission d’explorer.
« Bientôt nous aperçûmes deux autres petites
pirogues sous les palétuviers ; aussitôt nous nous
dirigeâmes vers e lle s , mais leurs vigilants pagayeurs
étaient aux aguets et se méfiaient de nous,
car nous les vîmes disparaître bien avant que nous
les eussions approchées. Arrivés sur le lieu qu’elles
occupaient, nous trouvâmes un petit canal ayant
tout au plus dix mètres de largeur et s’enfonçant
dans fintérieur. Ses eaux étaient profondes, la sonde
ne rapportait pas moins de trois brasses, nous y engageâmes
notre embarcation espérant arriver au village
oû avaient dû se réfugier les deux pirogues. Des .
deux côtés , ce canal profond était bordé par des
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