Je me propose d’ajouter encore à cette mesure vraiment
utile et ingénieuse dans sa simplicité, en créant
un vrai bureau de poste au sommet de la presqu’île ;
car son inscription, par la dimension de ses caractères
, sera telle qu’elle forcera l’attention des navigateurs
qui ne voudraient pas mouiller au Port-Famine,
et la curiosité les portera à envoyer un canot visiter la
boîte qui sera appliquée au poteau. Selon toute apparence
, nous serons les premiers à en recueillir les
fruits, et nos familles seront agréablement surprises
de recevoir de nos nouvelles de cette terre sauvage et
solitaire, au moment même où nous allons nous lancer
vers les glaces polaires.
Il a fait beau temps et nous en avons profité pour
acheminer tous les genres de travaux. Le bois, 1 e au ,
les observations d’angles horaires, de physique, de
météorologie, de maree, dhistoire naturelle, etc.,
tout a marché de front. Les bords de la baie Famine
ont tout à coup vu leur silence, leur isolement habituel
faire place aux cris bruyants et joyeux des marins,
aux détonations presque incessantes des chasseurs,
aux coups de la cognée déclarant la guerre à la
forêt voisine. C’est une étrange métamorphose que
celle qui s’opère presque subitement sur la terre la
plus déserte, quand une poignée de matelots vient y
faire son séjour, seulement pour quelques jours.
Quand je vis tous les travaux bien en train, je descendis
moi-même avec M. Hombron pour aller faire une
promenade sur les bords de la rivière Sedger; mais
son embouchure, à marée basse, est obstruée par des
bancs de sable presqu’a sec, et je fus obligé de débarquer
sur la plage voisine, formée par une bande de
beau sable blanc qui borde de vastes pâturages, entremêlés
de quelques broussailles ; là, je recueillis quelques
fleurs curieuses, je tirai deux ou trois bécassines;
puis je ralliai le bord de la rivière, où je trouvai mon
canot qui avait pu y entrer à la marée montante.
A trois cents mètres de son embouchure, la plaine
offre un espace marécageux de plusieurs arpents de
surface, entièrement couvert par d’immenses troncs
d’arbres étendus sur le sol. Ces troncs nus et dépouillés
de leurs branches, offrent un aspect bien bizarre ; on
dirait d’ossements gigantesques blanchis par l’action
du temps. Nul doute qu’ils ne soient apportés de la
forêt voisine par les eaux du fleuve, à la suite des
pluies extraordinaires qui grossissent son lit et causent
la ruine des arbres qui en sont trop voisins. Arrêtés
par la barre qui se trouve à l’embouchure de la
rivière, ils sont jetés sur ses bords et y restent pres-
qu’à sec quand les eaux reprennent leur niveau habituel.
Des flottes entières trouveraient à s’approvisionner
dans ce chantier naturel.
Ayant passé sur la rive opposée, je traversai la rivière
, puis je gagnai une grande et belle forêt qui lui
sert de lisière; bien qu’elle soit peu fournie, il est
difficile et souvent pénible d’y pénétrer, à cause des
arbustes armés d’aiguillons qui y sont assez fréquents.
Le hêtre antarctique (Fagiis antarctica) fait bien certainement
la base de ces forêts; c’est un bel arbre,
dont le feuillage d’un vert tendre produit par sa teinte
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Pl. VI.
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