Durant les dix jours que je passai à Londres, du
26 avril au 6 mai, je m’occupai sans relâche des
objets qui m’y avaient appelé. Je fus en général accueilli
poliment par les personnes auxquelles je m’adressai
, par les capitaines Beaufort, Washington, De
Roos , e tc ., mais à travers leurs civilités, leurs
offres obligeantes, il était facile de distinguer le regret
qu’ils ressentaient de voir un autre qu’un Anglais tenter
une carrière qu’ils regardaient comme un domaine
exclusif de leur nation. Un jour, je fus invité à dîner au
club Raleigh, dont tous les membres sont des voyageurs
plus ou moins connus, et je profitai de cette
occasion pour demander aux convives quelle opinion
ils s’étaient formée de Weddell. Il me fut répondu
qu’il était considéré par eux comme un True Gentleman
(expression qui répond à peu près à notre locution,
véritable homme comme il faut), et qu’en conséquence
ils ajoutaient foi pleine et entière à sa relation.
Au demeurant, je ne pus y recueillir, touchant les
nouvelles découvertes vers le pôle Sud, rien de plus que
ce qui m était déjà connu depuis longtemps, c’est-à-dire
les résultats du voyage de Biscoe, couronné du grand
prix des sociétés de géographie de Paris et de Londres.
Le 8 mai, j ’étais de retour à Paris, je redoublai
d activité pour terminer les affaires qui me retenaient
INTRODUCTION. LXXlII
encore dans la capitale, et rallier au plus vite le port
afin d’y presser les travaux relatifs aux corvettes. Malgré
mes pressantes sollicitations et les démarches du
capitaine Jacquinot, je savais que ces travaux marchaient
bien lentement et qu’il y avait fort à craindre
qu’il me fut impossible de mettre à la voile le i5 août
terme que j ’avais assigné au ministre pour notre départ,
en lui représentant que le moindre retard au-delà
de ce terme pouvait entraîner de graves inconvénients.
Pour stimuler l’ardeur de nos matelots et fixer les
regards du public sur la marche de notre expédition,
le ministre, à ma demande, soumit à la signature du
roi un projet d’ordonnance par lequel une prime était
promise aux officiers-mariniers et marins des deux
corvettes, proportionnelle au degré de latitude que
nous pourrions atteindre. Il s’agissait de cent francs
par personne, une fois parvenus au 75e degré sud,
et ensuite de vingt francs en sus pour chaque degré au-
dessus de ce parallèle. C’était peu de chose, mais c’en
était assez pour le but que je me proposais.
Le 19 mai, le ministre de la marine me présenta au
roi. S. M. m’accueillit avec beaucoup d’affabilité, parut
tres-satisfaite en apprenant que je m’étais chargé
volontiers de la course vers le pôle Sud. Elle s’entre