n aurais eu sujet de m’y attendre, après une course de
six ou sept heures. D’ailleurs je comptais ne plus redescendre
à terre et pouvoir me remettre complètement
de ce petit extra.
Sur les dix heures du matin, je suis allé rendre visite
au capitaine Vidal, commandant le sloop anglais
Æthna, et chargé de la reconnaissance hydrographique
des îles Canaries. Je l’ai trouvé étendu sur son
cadre dans sa grande chambre. Depuis près d’un an
il est retenu dans ce malheureux état par suite d’un
ulcère opiniâtre au genou; et il craint d’être contraint
de retourner en Angleterre pour ce motif. Toutefois
il subit son mal avec courage et patience, et cela n ’altère
point son activité ni son zèle au travail. C’est un
homme de 45 ans environ, d’une physionomie agréable
et spirituelle, de manières simples et prévenantes, et
parlant un peu le français.
Ma visite a paru lui faire beaucoup de plaisir. Il m’a
assuré que sans son mal, à son arrivée, il serait allé
sur-le-champ à bord de XAstrolabe pour examiner
mes instruments et mon installation. Sur le désir que
je lui témoignai, il me fit à l’instant voir les minutes
de ses cartes. Ces minutes sont à une échelle immense,
bien détaillées, et ce qui m’a paru d’un grand
intérêt pour les marins, les sondes y sont marquées
avec profusion tout le long des côtes jusqu’à 300
brasses de profondeur.
L’entretien est tombé sur la hauteur du pic. M. Vidal
en a fait une mesure trigonométrique qui lui a
donné 60 mètres environ de plus que celle qui est
donnée dans l’Annuaire, 3,710 mètres. Il en a aussi
une mesure barométrique qu’il n’a pas encore calculée
; la station inférieure avait lieu dans une batterie
de l’Orotava. A dire vrai, je n’ai qu’une confiance médiocre
dans ces deux mesures. Pour la première,
parce qu’il n’y a pas au littoral un local bien placé où
l’on puisse mesurer une base convenable, et pour
l’autre, j ’avoue que les baromètres de XÆthna ne
m’ont pas paru susceptibles d’une grande exactitude.
Le capitaine Vidal me témoigna son étonnement de
me voir entreprendre un voyage comme le mien avec
des navires aussi petits et sans batteries, ajoutant qu’il
voudrait que j ’en eusse un comme XÆthna, qui aurait
offert bien plus de commodités au capitaine et aux officiers.
Il avait parfaitement raison sous ce dernier
point de vue, et sans aucun doute, dans sa chambre
vaste et bien aérée, il était tout autrement installé
que je ne l’étais dans mon logement sombre et étroit,
où je ne respirais qu’un air étouffé. Mais ce n’était
pour moi qu’une considération bien secondaire.
D’autre part, nos navires étaient solides, faciles à
manoeuvrer et tout autrement marins que XÆthna,
qui probablement n’aurait pas brillé dans d’autres
parages que ceux des Canaries. Enfin, condition essentielle,
sa cale n’aurait pas contenu les vivres amoncelés
dans les nôtres. Pour rien au monde je n’eusse
changé mon Astrolabe pour son Æthna, et la suite des
événements n’a pu que me confirmer dans cette opinion.
L Æthna avait été pourvu d’une chaloupe pontée.
4837.
Octobre.