environ. Là, nous fûmes obligés de mettre pied à
terre, et nous enfilâmes un étroit sentier, le long duquel
s’enfuyait en murmurant à ras terre un petit ruisseau.
Ses eaux formaient une des branches tributaires
de l’aquéduc.
Après avoir remonté un instant son cours, nous
sommes arrivés dans un lieu où l’on a percé un souterrain
de 120 mètres environ de longueur, sur un
mètre ou deux de hauteur au plus et un mètre de largeur.
Nous avons traversé cette crypte qui devient
assez maussade pour le piéton, par la gêne à laquelle
elle l’assujettit et le chemin caillouteux et bourbeux
qu’on y trouve. Mais ces inconvénients sont compensés
jusqu’à un certain point par la fraîcheur délicieuse
dont on y jouit.
En sortant de l’autre côté du petit morne qu’elle
traverse, nous nous trouvâmes au milieu de la forêt,
qui ne mérite plus guère que le titre de bois-taillis,
attendu qu’elle n ’offre plus que des arbustes et des
fougères. Les arbres ont tous disparu. Le plus gros que
j ’ai mesuré avait tout au plus 13 décimètres de circonférence
et son tronc difforme et tortu n ’avait rien
de gracieux. Le ton général de cette végétation se rapprochait
déjà de celui des îles océaniennes : mais
c’était bien chétif, bien misérable comparativement
à la magnificence et à la splendeur des forêts polynésiennes.
En quittant ce canal, qui porte le nom de Bouquai-
ron, nous nous sommes dirigés vers une autre branche
de l’aquéduc; nous sommes arrivés sur une assez
belle esplanade, couverte de petits arbres et dont les
parois humides sont tapissées de fougères variées.
Jadis un petit édifice servait de réservoir à l’eau à sa
sa sortie même du roc ; ce qui a fait donner à ce lieu
le nom de Casita ou Madré del Agua : mais il ne reste
plus aujourd’hui de ce petit édifice que les quatre murailles
bien dégradées. Ces ruines modestes me rappelaient
involontairement celles de la fontaine Egérie à
Rome, ou de quelques-unes de ces fontaines antiques
si fréquentes sur le sol de la Grèce. Mais en y réfléchissant
, j’étais obligé de convenir que pour un véritable
antiquaire leur date toute moderne ne leur aurait
laissé qu’un prix bien médiocre.
Nous passâmes près d’une demi-heure assis sur les
dalles de la fontaine, jouissant de l’agréable fraîcheur
de ces lieux, et cassant quelques croûtes de p âté,
tandis que mon compagnon me contait ses doléances
sur ses privations loin de son pays n a ta l, sur ses projets
de retour en France, enfin sur les aventures de sa
jeunesse, Je gardais le silence en faisant semblant de
l’écouter. Mais le fait est que ma pensée se reportait
sur ma propre situation; je rêvais tristement aux êtres
chers que j ’avais laissés en France, et mon coeur saignait
en supputant la durée d’une absence si douloureuse.
De la Casita del Agua nous passâmes à l’endroit
nommé Llanade losviejos (plaine des vieillards). La
tradition veut qu’au temps des Guanches, ce fût là
l’endroit où venaient se réunir tous les anciens chefs
de l’île, quand il s’agissait de délibérer en conseil