général la figure peinte d’ocre et de gi’aisse, sans règle bien fixe;
mais j’en remarquai plusieurs qui l’avaient bariolée de lignes
transversales de noir et de rouge dessinées avec un soin et une
coquetterie dont l’effet était assez bizarre. Parmi celles qui étaient
peintes de cette manière, une jeune fille fixa particulièrement
notre attention. Elle se distinguait par ses agaceries, tout en se
peignant ainsi le visage, et paraissait ajouter aux grâces naturelles
du sien, ce nouvel agrément, comme un moyen infaillible de séduction
dont elle paraissait convaincue. Ce moyen lui réussit en
effet, si on put en juger par l’empressement qu’on remarqua
bientôt autour d’elle. Son plus grand attrait à mes yeux, eût été
un râtelier de dents d’une blancheur éclatante, admirablement
rangées, qualité qui lui était commune avec toute sa race et que
rien ne pouvait surpasser. Ses dents comme celles de la femme
chantée par le roi-prophète « semblaient des brebis qui montent
du lavoir, toutes jumelles; il n’en était aucune qui n’eût son
égale. » Cette beauté patagone était digne enfin de fixer l’attention,
même sans la différence des lieux , des méridiens et des antécédents
aussi favorables pour être séduit que trois mois d’une
vie moitié sauvage, isolés du beau sexe, comme celle que nous
venions de passer. Toutes ces femmes se montrèrent avides d’objets
de parure, tels que colliers et verroteries ; mais comme les
hommes, elles leurs préféraient cependant le biscuit. Autour de
ces huttes, on voyait s’agiter une multitude d’enfants poui’ lesquels
surtout les mères nous demandaient des colliers dont elles
leur surchargeaient le cou et les bras. Ces enfants n’étaient, pour
ainsi dire, pas vêtus ; un petit carré de peau leur cachait seulement
les épaules; aucun d’eux cependant ne sentait le froid,
quoiqu’il fût sensible alors, car le vent soufflait très-fort du S. O.
Hommes, femmes, enfants nous parurent sans,cesse occupés à
manger d une manière gloutonne, de la viande ou une espèce de
racine qui croissait abondamment dans le voisinage, et dont le
principe nutritif paraissait bien maigre. Cette racine et quelques
baies rouges ramassées sur des arbustes comme ceux que nous
avions vus sur toute la côte, entraient exclusivement comme
nourriture dans leur diète habituelle.
(üf. Dubouzet.')
Note 67, page i5 t.
Le mauvais temps nous a empêchés de renvoyer à terre nos
hôtes patagons qui paraissaient impatients de regagner leur gîte.
Ils ne s’accommodaient guères des mouvements du navire, et souffraient
du mal de mer. Cependant ils connaissaient déjà passablement
les usages du bord, et frayaient volontiers avec les matelots.
A l’heure du dîner ils flairaient l’odeur de la soupe, et semblaient
très-disposés à partager notre repas. L’un d’eux s’assit à notre
table et fit honneur au festin, quoiqu’il eût déjà englouti plusieurs
galettes de biscuit. Il conserva pendant le dîner un maintien très-
digne, n’éprouvant d’autre embarras que celui de manier la
fourchette et le couteau. Il but volontiers du vin et surtout de
l’eau-de-vie, dont nous ne voulûmes lui donner qu’avec modération.
Il manifesta même pour cette liqueur un goût très-prononcé,
disant qu’il lui fallait plus d’une bouteille d' aguardiente
pour le rendre buracho. Il est à supposer que notre convive avait
eu des relations avec les Espagnols.
J’ai été étonné de la ressemblance qui existe entre les individus
d’une même tribu. Je n’ai pas rencontré comme chez nous ces
différents types de physionomie qui ont exereé la sagacité de La-
vater. Un seul homme m’a paru avoir un caractère de figure
étranger à celui de la tribu. Je n e parle pas des Pécherais qui
appartiennent à une famille particulière, et dont le type est bien
distinct. Ceux-ci ont les traits plus écrasés, le visage plus court,
le nez et la bouche plus larges, les yeux plus fendus et légèrement
obliques, l’angle intérieur étant relevé. Leur taille est moins élevée
que celle des Patagons au milieu desquels ils vivent quelquefois