et c’est ce que me confirmait une baisse excessive du
mercure déjà .descendu jusqu’à 0m,736. J’attendais
donc une de ces tempêtes du détroit qui soufflent
d’abord du N. au N. 0 . pour sauter ensuite au S. 0.*
Dans cette crainte, pour éviter des retards fâcheux,
je résolus, malgré l’obscurité, de profiter du
vent et de la marée, encore favorables, pour m’avan-
eer le plus qu’il me serait possible dans le canal. Je
prolongeai donc, presqu’à toucher la côte, l’île Elisabeth,
j ’allai virer très-près du continent, puis après
avoir couru un petit bord sur l’île, sur le bord suivant
je doublai à petite distance le cap Purpoise ; ensuite je
me trouvai dans un canal large et dégagé où je pouvais
subir un coup de vent sans inquiétude. Il était
alors minuit, j ’envoyai se coucher les hommes qui
n ’étaient pas de quart et j ’allai moi-même prendre un
repos dont j ’avais grand besoin, attendu les fatigues
de la journée.
Cette manoeuvre, à laquelle personne ne s’attendait
, fut admirée par les uns et jugée imprudente et
téméraire par les autres**. Quoi qu’il en soit, elle
prouva à tous qu’au besoin l’on ne me verrait pas
manquer d’audace ni de présence d’esprit, et c’était
ce que je voulais faire comprendre aux deux équipages.
Lors de l’armement, comme ils me voyaient
marcher pesamment et lentement, à cause d’un
accès de goutte que je venais de subir, ils avaient
Notes 35 et 36.
** Notes 37 et 38.
paru bien surpris d’apprendre que j ’étais leur commandant,
et quelques-uns même s’étaient écriés
naïvement : Oh! ce bonhomme-là ne nous mènera pas
bien loin. Je leur promis dès ce moment, in petto,
si Dieu lui donnait v ie , que ce bonhomme leur en
ferait voir en navigation comme ils n ’en avaient
jamais vu.
Cependant, dans la facile traversée de Toulon au
détroit, qui ne différait en rien des navigations habituelles,
je ne me tenais guères sur le pont que pour
me promener, et j ’intervenais fort peu de ma propre
personne dans les manoeuvres à faire, laissant l’officier
de quart exécuter les ordres que je donnais.
Aussi les matelots de Y Astrolabe avaient à peu près
conservé leur première idée, me considérant presque
comme un soliveau.
Mais arrivé au détroit, mon rôle changea complètement.
Tant que le jour durait, depuis trois heures
du matin jusqu’à dix heures du soir, je ne bougeais
point de la dunette et surveillais moi-même toutes les
opérations ; la nuit même, couché à moins de deux
mètres du timonnier, j ’entendais tous les ordres que
l’officier lui donnait et me faisais rendre compte des;
moindres variations du vent et des courants. C’était
une vigilance continuelle et de tous les instants, et
c’est ainsi que j ’ai agi durant tout le cours de la campagne,
lorsque je ne me trouvais pas en pleine 'm e r,
c’est-à-dire durant près de quinze ou dix-huit mois.
Dès mon entrée dans le détroit, j ’avais pu m’assurer
que les cartes de King, dont j ’étais pourvu,