bri contre le vent du nord, qui souffla toute la nuit. Quand
nous eûmes trouvé chacun la position la plus convenable, nos
conversations cessèrent, et nous Jfîmes tous nos efforts pour
tâcher de dormir un peu, afin d’être en état de supporter les fatigues
du lendemain. Ces peines furent inutiles. D’un côté, le
bruit des causeries de nos guides entre eux et avec nos montures,
celui que faisait à chaque instant l’homme chargé d’alimenter
le feu , en passant près de nous ; e t , d’un autre côté, le
froid qui pénétrait, malgré toutes mes précautions, par-dessous
mon manteau, tandis que je grillais de l’autre, me tinrent
éveillé. D’ailleurs , je sentis bientôt que j’avais à lutter contre un
ennemi de tout sommeil bien plus cruel, car les p u c e s, qui
étaient naturalisées depuis long-temps dans cette station, où ,
sans doute, elles n’étaient pas venues toutes seules, se reveillèrent
à la douce chaleur de notre foyer et commencèrent à me faire
une guerre à outrance, ainsi qu’à tous mes compagnons. En
vain je voulus opposer une résignation stoïque à leurs piqûres ,
qui me causaient un plus grand mal en me tenant éveillé que par
leurs morsures mêmes ; en vain, pour détourner quelque temps
mon attention , je fixai mes yeux sur la belle constellation d’O-
r ion , dont les brillantes étoiles venaient [défiler successivement
et s’éclipser derrière l’angle d’un énorme bloc basaltique qui nous
abritait du côté du su d , comme devant un cercle mural ; à minuit
, la position n’était plus tenable, et je fus obligé de me lever
pour aller prendre l’air sur le plateau. A peine avais-je quitté le
voisinage du f e u , que je sentis combien la température avait
baissé ; mes sens , en effet, ne me trompaient pas , car le thermomètre
, qui était a 14° a huit heures du soir, était descendu
à 8°. Mais il était impossible de voir une nuit plus belle. Le ciel
était dune pureté telle, que les étoiles les plus petites étaient
étincelantes de lumière, et celle-ci était même tellement répandue
dans 1 atmosphère, quon eût cru que la lune était encore sur
1 horizon, quoiqu’elle fût couchée depuis longtemps. Les montagnes
qui me dérobaient aloi’s une grande partie du ciel avaient
une teinte noirâtre assez prononcée pour qu’elles se détachassen t
de manière à ce qu’on aperçût distinctement leurs contours. A
quelques pas de notre camp régnait le silence le plus lugubre :
on pouvait facilement se croire seul au milieu de cette solitude,
et s’y livrer à son aise au recueillement et à la méditation que
tout semblait inspirer. Une foule de réflexions généralement
tristes vinrent m’assaillir en ce moment : elles roulaient sur la
France, qui était déjà si loin de moi ; sur ma famille et mes amis,
que j’avais quittés pour si longtemps ; sur les chagrins que leur
avait causé mon départ, et sur les chances heureuses et malheureuses
d'un voyage qui débutait par cette intéressante ascension,
et mè causaient des émotions souvent pénibles, qui me firent cependant
du b ien , car je sortis de ces rêveries plein de confiance
dans l’avenir. Ce n’était pas des émotions de ce genre que j’étais
venu chercher au p ic , j’étais venu y admirer la nature et
une de ses plus grandes merveilles , et satisfaire au désir de fetu -
dier. I Sans d o u te , ce désir aurait trouvé ample matière pour
quelqu’un plus initié aux sciences que je ne le suis ; mais, si
j’avais manqué mon but de ce cô té , au moins ce retour sur le
passé, cette anticipation de l’avenir, que tout ce qui m’entourait
fit apparaître dans mon esprit, me dédommagèrent a eux seuls de
la peine et des fatigues du voyage.
On se lasse de tout dans la v ie , et dans l’ordre moral et intellectuel,
cette vérité est surtout juste et applicable. Après une
promenade solitaire d’une demi-heure, temps pendant lequel
l’imagination peut faire bien du chemin, le froid me ramena
vers notre camp o ù , dans tout autre position, mon retour
eût pu jeter l’alarme ; mais nous n’avions rien à craindre de ce
côté, car nous n’avions rien de capable de tenter des voleurs; et
qui eût voulu d’ailleurs se faire voleur à ce prix !... J’y retrouvai
mes compagnons q u i, à défaut de sommeil, continuaient à chercher
le repos dans l’immobilité et bravaient les maudites puces