Décembre. c h e v a u x sur la côte sud du détroit. Mais nous reconnûmes
bientôt notre erreur.
Vers six heures, la marée se déclara décidément
pour nous, et son action, jointe à celle d’une bonne
bi •ise qui nous poussait rapidement droit vent arrière,
à raison de six ou sept noe u d s, nous rapprocha
promptement de la pointe Nuestra Señora de Grazia.
Tout à coup un grand feu brilla sur la falaise escarpée
qui forme la pointe opposée du détroit ou cap Saint-
Vincent. L’aide des lunettes nous y fit bientôt distinguer
cinq personnages marchant en gesticulant avec
vivacité pour nous faire des signaux.
Presque tous les officiers, et moi le premier,
nous fûmes persuadés que ces individus n ’étaient
point vêtus comme des sauvages. Quelques-uns s’imaginaient
même reconnaître la nature de leurs vêtements.
Aussitôt l’idée nous vint que c’étaient de malheureux
naufragés abandonnés sur ces côtes qui
imploraient notre assistance.
Nonobstant le regret que j ’éprouvais à suspendre
ma course, et peut-être même le risque queje courais
de perdre une aussi belle chance pour pousser de
l’avant, l’humanité me commandait de courir au secours
des infortunés que nous croyions avoir sous les
yeux. Sur-le-champ je revins brusquement sur bâbord
et cinglai droit sur le cap Saint-Vincent. A mesure que
nous approchions, notre assurance primitive se convertit
en doute, et quand nous ne fûmes plus qu’à un
mille du cap, chacun de nous put se convaincre que
les individus qui avaient si vivement excité notre
commisération étaient tout simplement de braves
Pécherais affublés de longs manteaux de peau, se
chauffant paisiblement autour de leur feu et se levant
de temps en temps pour nous regarder. Ainsi désabusé
et regrettant la route que je venais de perdre
inutilement, je remis le cap au S. 0 . pour m’avancer
dans la baie Elisabeth, comprise entre l’île de ce nom
et la côte septentrionale. Au même moment un autre
feu se montra sur cette dernière te rr e , près du hâvre
Oazy*.
Mais bientôt notre attention se fixa tout entière sur
un spectacle plus grandiose, plus magnifique. Ce
fu t, à neuf heures et demie, celui que nous offrit le
coucher du soleil, disparaissant lentement derrière les
montagnes de la Patagonie, droit devant nous. Les
nuages qu’il venait de traverser et ceux qui l’entouraient
jusqu’à une grande distance, par leurs teintes
variées d’un pourpre enflammé, d’un vert tranchant,
de rayons orangés, imitaient parfaitement les reflets
d’un vaste incendie ou la déflagration d’un immense
volcan. C’était quelque chose de terrible et d’imposant
au plus haut degré, et je confesse que, pour ma part,
je n ’avais jamais rien vu de semblable. Aussi je contemplais
avec enthousiasme ce tableau merveilleux et
vraiment magique, quand une arrière-pensée fâcheuse
vint traverser mon imagination et donner un autre
cours âmes méditations; dans ces contrées, un aspect
pareil du ciel devait me présager du mauvais temps,