Décembre. donna quelque espoir ; mais le calme survint de nouveau,
et nous ne pûmes nous écarter, un peu de la
pointe du Sedger qu’à la faveur d’un faible courant
de flot qui nous fit dériver lentement dans le sud.
Pourtant vers midi, le vent s’établit à l’est et fraîchit
de manière à nous faire filer successivement 2, 3, 4
et jusqu’à 6 noeuds avant deux heures. Alors c’est une
délicieuse navigation; la température est douce, le ciel
dégagé, et la mer est si belle qu’on croirait volontiers
naviguer sur les eaux d’un beau fleuve.
Nous défilons rapidement devant les entrées des
jolies baies Eagle, Geese, Indian, Dubouchage, Bour—
nand, Bougainville, et devant la spacieuse rade de
St-Nicolas. Partout la côte est bordée de magnifiques
rideaux de verdure et s’élève en amphithéâtres boisés,
jusqu aux pics âpres et neigeux des monts Tarn, Nodales
et de la chaîne qui domine le cap Forward. Vers
trois heures et demie nous rangeons à moins d’un mille
de distance le cap Sourcilleux, pointe extérieure du
continent américain, limite commune où viennent se
confondre les eaux des deux océans, et point jadis si
redouté des navigateurs à cause des sautes de vent
brusques et soudaines qui venaient souvent frustrer
leurs plus belles espérances.
Le cap lui-même est un mont sourcilleux en forme
de cône arrondi au sommet, s’élevant en pente trè s-
iapide du sein même de l’onde à une prodigieuse
hauteur. Il est cependant dominé par des pics aigus,
découpés, couverts de neiges éternelles, et leurs flanoe
souvent revêtus d’une terre sablonneuse entièrement
nue, aux teintes violettes ou bleuâtres, attestent de
fréquentes avalanches, entraînant sans doute avec la
neige la surface du sol qu’elle recouvre *.
Sur toute la bande du sud qui appartient à la Terre
de F eu , les terres encore bien plus accidentées présentent
les formes les plus étranges; ce sont tour à
tour des pyramides aiguës, des dômes plus arrondis,
des clochers ou des mamelles réunies deux à deux.
D’autrefois des chicots à trois pointes, et souvent enfin
des dentelures profondes et continues ; tout cela entremêlé
de ravins très-profonds. Les sommets sont couverts
de neige plus épaisse, et la végétation plus rabougrie
y prend une teinte triste et jaunâtre, tout-a-
fait semblable à celle des feuilles mortes
Quand on contemple ces merveilleux accidents du
sol, l’imagination se reporte involontairement à l’une
de ces révolutions du globe dont les puissants efforts
durent morceler la pointe méridionale de l’Amérique,
et lui donner la forme de cet archipel compacte qui a
reçu le nom de Terre de Feu; mais quel fut l’agent
mis en oeuvre par la nature pour opérer ces résultats,
le feu, l’eau, ou un simple déplacement des pôles. Jusqu’à
présent la question, je pense, n e s t pas encore
résolue, et pour ma part, j ’avoue que je ne suis pas
complètement satisfait des explications les plus ingénieuses.
Au-delà du cap Forward, la végétation patagonienne
s’appauvrit peu à peu, et l’on n ’y retrouve plus ces