taire M. Desgraz, en questionnant notre Suisse, je
pus me procurer en patagon la valeur de la plupart
des mots qui composent mon vocabulaire comparatif
de toutes les langues connues. Le langage
de ces hommes est guttural, singulièrement accentué
et leurs articulations sont souvent difficiles à rendre.
Comme on l’observe chez les Boschismans, leurs
consonnances finales sont fréquemment suivies d’un
léger claquement de langue imitant confusément le
son k ou tl, et presque impossible à exprimer correctement
par notre écriture.
L’un de ces hommes dîna avec moi, un autre avec les
officiers et le troisième avec les élèves. Mon convive r
après avoir copieusement dîné, demanda un morceau
de pain qui restait sur la table pour son Pikinini et le
ramassa dans un petit sac. En me voyant prendre un
livre, il prononça le mot bouk (book). Tous trois au
reste baragouinaient différents mots espagnols ou
anglais. Celui que j ’avais traité, sans doute pour me
faire la cour, répéta plusieurs fois ces mots : Angrès
no good, American no good, Francès bueno : puis il
ajoutait : Ilatavài Francès ver y good. Cependant il
m’a beaucoup parlé d’un certain Johnson very good et
s’informait, avec beaucoup d’in té rê t, s’il était de
retour en Amérique; le nom de King lui a paru totalement
inconnu.
Après le dîner, ils ont témoigné le désir d’être renvoyés
à terre, surtout après avoir reçu de moi chacun
un grand couteau. Pourtant ils ont parfaitement
compris que cela était impossible à cause du vent, et
se sont paisiblement étendus sous une tente qu’on
leur a préparée dans la chaloupe.
A neuf heures et demie, on les a réveillés pour
les remettre à terre. Au retour, "leur chef amené
par les officiers a pris leur place dans la chaloupe ;
un troupeau de femmes s’est précipité dans le
canot pour venir aussi à bord, et il a fallu presque
employer la violence pour leur faire évacuer l’embarcation;
il paraît que là prostitution est désormais
aussi universelle dans ces contrées que dans
l’Océanie.
D’après Niederhauser, l’histoire des Patagons géants
ne serait qu’une fable ; il y a quelques hommes d’une
plus haute taille parmi eux , et voilà tout ; les habitants
de la Terre de Feu appartiendraient à une autre
race rabougrie, faible, misérable, timide et moins intelligente.
Quand les Patagons peuvent les attraper, ils
font leurs enfants esclaves, mais les libèrent quand ils
sont grands; les Pécherais ont des pirogues et s’adonnent
à la pêche ; les Patagons sont presque toujours à
cheval et vivent presque entièrement de chasse. Ce
sont les Pécherais qui fréquentent les îles sur l’autre
rive du détroit, tandis que les Patagons ne quittent
pas le continent; mais dans l’intérieur, ils s’enfoncent
quelquefois à la distance de cinq ou six cents milles en
poursuivant leur vie errante et nomade *.
A mon lever, vers six heures du matin, M: Du-
moutier m’a présenté son ami particulier Kongre,