daient son ascension fort difficile, bien que le sentier tournât la
position. Après trois quarts d’heure de marche très -pénible pour
elles et pour nos guides, nous arrivâmes au plateau de la E s -
tancia de los lngleses, terme de notre route pour la journée, et
où l’on couche habituellement. Là d’énormes blocs de basalte
semblables à ceux de la plaine se trouvent agglomérés et forment
un abri naturel, et le Spardum suprà-nubium s’y rencontre assez
abondamment pour alimenter l’indispensable feu qu’on est
obligé d’allumer. Nous primes possession aussitôt d’un de ces
abris. Le vent du nord, qui soufflait au point de paraître déjà
froid, nous promettait un grand abaissement de température;
nos guides prirent aussi bien vite leurs précautions. Arrivés là ,
nous nous trouvions dans un véritable désert, isolés du monde
entier, à 1600 toises d’élévation ; la masse de nuages que nous
avions laissée au-dessous de nous, avant d’entrer dans les Canadas
, nous masquait aussi une grande partie de l’île , et on ne
voyait pointer, de temps à autre^ que quelques sommets hors
de la ceinture de cratères volcaniques qui entouraient le grand
cratère que nous venions de traverser. Pressés de reconnaître
les lieux qui nous entouraient, nous profitâmes des deux heures
de jour qui restaient encore pour gravir la montagne jusqu’à
Alta-vista. Nous mîmes une demi-heure très-pénible à arriver
jusqu’à ce plateau situé au sommet d’un petit monticule d’obsidiennes
qui nous séparait de la grande chaussée de blocs basaltiques
suspendus sur nos têtes. On y voyait cependant quelques
traces du passage des mules. Chemin faisant, nous vîmes au
milieu des touffes de Spardum des fientes de lapin qui prouvaient
que nous n’étions pas les seuls habitants de ce désert ; peu se
doutaient, en venant s’y réfugier, qu’ils y trouveraient encore leur
plus cruel ennemi, car nos guides nous dirent en avoir tué souvent.
La station d’Alta-vista étant plus rapprochée du pic, il arrive
quelquefois que des voyageurs la choisissent pour passer la
nuit, mais l’ahri y est beaucoup moins bon qu’à la Estancia, et il
faut y porter avec soin du b o is, si l’on veut y faire du feu. Nous
voulûmes pousser plus loin, mais la crainte de ne plus retrouver
notre route, si la nuit nous surprenait au milieu des précipices
qu’il fallait désormais parcourir, nous força à revenir sur nos
pas; mais non pas avant d’avoir aperçu le p ic , dont le sommet
paraissait presque à nous toucher, quoique encore bien loin de
nous.
La descente fut beaucoup plus difficile, car, obligés de sauter
de rochers en rochers, nous 'manquâmes plusieurs fois de nous
rompre le cou. Nous rapportâmes néanmoins des échantillons des
roches les plus remarquables qui se composaient de trachytes, de
basaltes et de débris de coulées de différents âges , plus ou moins
altérés par l’air, le feu et les eaux pluviales, et présentant divers
degrés de cristallisation. Un peu avant sept heures, nous rentrâmes
à la Estancia, où notre souper et un bon feu nous attendaient ;
nous fîmes honneur au premier, car tout paraît bon à un pareil
bivouac. La flamme vive et pétillante de notre superbe feu répandait
une clarté qui animait et égayait tout ce qui nous entourait;
le spardum brûlait à ravir, en dépit de la l’aréfaction de l’a ir ,
qui, théoriquement, doit ralentir la combustion, e t, par reconnaissance
, nous étions tentés de le classer parmi les meilleurs
bois de chauffage.
Bientôt [après le souper, nous endossâmes nos vêtements de
nuit. Un de nos compagnons de voyage, M. Coupvent, un peu
meurtri par sa chute de cheval, fut pris d’une espèce de refroidissement
qui céda heureusement bien vite, grâce aux soins qui
lui furent donnés et à une tasse de thé qu’on lui fit aussitôt. Chacun
de nous prit position, peu de temps après, devant le foyer,
et s’arrangea le mieux qu’il put pour se faire un lit de cailloux ,
ayant pour oreiller un porte-manteau et enveloppé dans un
manteau ou une couverture. Une petite muraille en pierre, de
deux pieds d’élévation , nous séparait de nos guides, qui avaient,
de leur côté, un feu pareil au nôtre. Le rocher nous servait d a-
1. i 3