A cinq heures après m idi, je m’en retournai à bord
avec MM. Roquemaurel, Marescot et Duroch, sous
une pluie battante fort peu divertissante ; puis le vent
reprit à l’O. S. 0 . et ne tarda pas à souffler de nouveau
avec force *.
J’avais projeté ce matin une excursion au fond du
hâvre Peckett, mais un vent violent d’ouest, accompagné
de grains de pluie et de grêle, me retint
à bord.
Sur les onze heures, nous avons vu les indigènes
démonter leurs tentes, plier bagage, monter sur leurs
chevaux et se diriger par bandes détachées vers leur
station habituelle, au hâvre Oazy. En effet, ils manquaient
de bois, d’eau et de vivres, et pour prolonger
leurs privations, ils ne trouvèrent pas leur commerce
avec nous assez fructueux. Comme c’était le début de
la campagne, nos libéralités furent bien trop bornées
au gré de leurs désirs.
Peu après, nos amateurs nocturnes, MM. Ducorps
et Dumoutier, car M. Desgraz y avait renoncé, rentrèrent
à bord très-contents de l’hospitalité patagone.
Le premier, par un Gaoutcho de Montevideo, établi
depuis huit ans parmi ces naturels, et ayant deux
femmes et plusieurs enfants, s’était procuré divers
renseignements assez curieux. Plus malheureux,
M. Dumoutier n’avait réussi à palper aucun c rân e ,
toujours repoussé par le soupçon de magie que ses
allures avaient inspiré aux sauvages crédules, défiants
et craintifs. Seulement, tandis qu’il cherchait à persuader
une Patagonne, sa compagne lui souffla adroitement
son crâniomètre, qu’il ne put recouvrer.
MM. Roquemaurel , Gourdin et Gervaize sont
partis à une heure pour faire le tour du hâvre entier ;
mais ils sont rentrés à neuf heures du soir, sans y
avoir réussi. Ils sont tombés sur une tribu d’une cinquantaine
d’individus d’une race bien inférieure à
celle que nous venions de fréquenter, sorte de parias
qui semblaient repoussés de toute société avec les
autres. Ceux-ci consentirent à vendre quelques peaux
et un arc.
Moi-même, à une heure trente minutes, je suis
parti dans ma baleinière, et j ’ai mis pied à terre près
de la pointe méridionale de la baie ; au bord de la mer,
j’ai trouvé une misérable famille composée d’un jeune
homme assez alerte, d’une femme âgée et hideuse
de laideur et de saleté, et de trois marmots non
moins malpropres. Ceux-ci étaient tout nus , et les
deux autres n ’avaient autour des reins que de mauvais
lambeaux de peau; leur cabane n ’était qu’un
treillage de branches, à demi-recouvertes de lambeaux
de peau, et qui ne pouvait les garantir que
bien imparfaitement des injures de l’air. Le jeune
homme semblait assez posé, mais la vieille ne cessa de
gazouiller. Comme un vrai traquet de moulin, sa
langue ne s’arrêtait pas un instant et son babil intarissable
ressemblait à une sorte de gloussement perpétuel.
Voyant enfin que je ne disais rien à tout cela,
tous deux me demandèrent du tabac; je fus long