le pied ; le feu d’abord circonscrit à la partie inférieure, gagna de
proche en proche les branches les plus élevées et s’épanouit en
larges gerbes de flammes, dont l’éclat illuminant au loin les
buissons et les arbres, donnait un aspect étrange à ces lieux plutôt
destinés à recevoir les reflets monotones de la neige que la
couleur sanglante de l’incendie.
Les arbres attaqués et minés au pied par le feu finirent par
tomber tout enflammés sur les arbres voisins en y communiquant
l’incendie. Nous reposâmes ainsi tranquilles et muets, entourés
d’une ceinture de feu.
Le jour vint mettre fin à notre quiétude et nous nous disposâmes
à gravir au sommet de la montagne qui se trouvait encore
à une lieue de nous. Le temps était pluvieux et nous voulions
nous hâter pour être de retour le soir aux bâtimens. Afin de ne
pas; nous charger, nous eûmes la funeste idée de laisser nos vivres
et nos fusils à notre gîte, comptant les y reprendre au retour en
y déjeûnant. Nous traversâmes donc de nouveau la plaine que
nous avions vue le jour précédent, et nous arrivâmes près des
neiges qui couvrent le penchant sud de la montagne, mais le
temps avait tenu la promesse que son apparence indiquait : la
pluie, la grêle commençaient à tomber. Malgré tout, Dumoulin
et moi, nous continuâmes à gravir par une pente tellement à pic
que souvent pour ne pas dégringoler sur ce terrain glissant, il
fallait se jetter à plat ventre et se retenir de toutes parts aux
petites inégalités du sol .Après beaucoup de peines et de dangers,
nous arrivâmes au sommet le plus élevé, en côtoyant un précipice
de neige qui se trouve dans la partie sud de la montagne.
Les vents du S. 0 . rendus glacés par une neige fondue qui nous
traversait, en rendait le séjour insupportable ; nous y Testâmes
environ une heure à observer. Lorsque tout fut terminé, nos
membres étaient tellement glacés, qu’à peine s’ils étaient sensibles.^
Nous eûmes recours à nos gourdes qui contenaient encore
une petite quantité d’eau-de-vie. Alors nous pûmes nous remuer
et reprendre peu à peu la route de la descente. Le docteur de
XAstrolabe n’avait pu nous suivre ; nous commençâmes à avoir
de l’inquiétude. Au milieu de la brume qui s’épaississait autour
de nous, en vain nous aurions cherché à l’apercevoir. Nous
l’appelâmes de toute la force de nos poumons , longtemps ce fut
en vain ; mais en approchant du précipice dé neige dont nous
avons parlé, nous le trouvâmes transi de froid, assis près d’un
buisson. Il nous raconta que des vertiges l’ayant empêché de
gravir la montagne, il était allé herboriser dans les environs ;
qu’ayant perdu son orientement, il s’était arrêté découragé, près
du précipice, attendant tout du hasard. Une fois tous réunis,
nous songeâmes à retourner à l’endroit où nous avions bivouaqué.
Alors une horrible angoissé s’empara de n ou s, la brume ne
nous laissait pas voir à cent pas; n’ayant ni provisions, ni armes,
nous étions sans ressources dans ce pays de désolation. Quelqu’un
qui ne doute de rien assura avoir la mémoire des lieux, et
se fit fort de nous conduire à bon port. En disant cela, il se met
en route. Quand il fut à cent pas, rendu presqu’invisible par la
brume, nous le suivîmes tous, les uns comme les moutons de Pa-
nurge, les autres afin de ne pas se quitter et de combattre la tendance
qui existait chez quelques-uns de se débander, de courir
en avant ou de rester en arrière. Au bout d’une demi-heure de
marche, on ne s’entendait plus , une heure après la désorganisation
était complète, et totit le monde finit par avouer qu’on
était désorienté. Quand cet aveu eut été ainsi fait par celui même
qui avait la mémoire des lieu x , je fis la proposition suivante : de
retourner sur nos pas, en suivant toujours la ligne de plus grande
pente, ce qui devait naturellement nous conduire au sommet
que nous venions de quitter. Une fois rendus à ce point de départ,
en suivant la route directement opposée au relèvement que,
dans nos habitudes de prévisions , j’avais pris de notre halte de
la nuit dernière, au moyen de ma boussole que j’avais eu soin
d’apporter, nous devions réunir pour nous toutes les chances