PI. I.
pour ne pas manquer l’excursion projetée , à six
heures je suis descendu chez le consul qui m’attendait.
Je suis monté sur un coursier maigre et décharné;
M. Bretillard sur un autre qui n ’avait pas
beaucoup meilleure mine; puis nous nous sommes
paisiblement mis en route. Le fils du consul et son domestique
nous suivaient sur deux bourriques qui portaient
en même temps nos vivres.
Bien qu’améliorée en divers endroits, depuis mon
passage d’il y a onze ans, jusqu’à Laguna, la route est
toujours fort mauvaise. Plusieurs chameaux, chargés
de divers fardeaux, cheminaient assez lestement au
milieu de ces chemins raboteux. M. Bretillard m ’a appris
que cette race d’animaux était maintenant naturalisée
à Ténériffe, tandis que naguère encore il fallait
les tirer de Lancerote ou de Fortaventure.
Après avoir traversé rapidement Laguna, qui m’a
semblé, comme en 1826, en pleine décadence, au travers
des vestiges de son ancienne opulence, nous
avons pris une route qui traverse une vaste plaine entourée
de toutes parts de hautes collines. La forêt de
Mercedes occupe le fond de cette vallée, c’est la seule
partie boisée de ce vaste amphithéâtre, et les eaux qui
s’en échappent sont conduites à Laguna au moyen de
simples dalles en bois découvertes et soutenues à sept
ou huit mètres au-dessus du sol. Il en résulte qu’il s’en
perd beaucoup dans le trajet, tant par l’effet d’une
forte vaporisation que par les fentes ou fissures inévitables
de l’aquéduc.
Tout le sol de cette plaine et des coteaux voisins,
que l’on m’a dit riche et fertile en grains et en pommes
de te rre , présente à l’oeil de l’observateur un aspect
sauvage et bizarre, dû sans doute à son origine volcanique
aussi bien qu’à l’absence, ou du moins à la rareté
des êtres animés, tels qu’oiseaux, insectes, papillons,
cigales, etc.
Parmi les habitants de l’air, je n ’ai remarqué qu’une
petite espèce d’épervier, commune et très-familière, et
quelques grands butors, les uns gris, les autres au dos
d’une blancheur éclatante, qui se plaisaient à planer
sur la forêt, attirés sans doute par la fraîcheur de ses
ombrages.
Vers neuf heures, et à une lieue de Laguna, nous
mîmes pied à terre à la casita de don Mathias de Cas-
tillo y Yriarte. C’est une petite maisonnette qui ressemble
tout-à-fait aux méchantes bastides de Toulon,
et qui n’est pas mieux ornée au dehors. Je n ’y remarquai
qu’un petit treillis couvert d’une vigne d’où
pendaient de nombreuses et magnifiques grappes
d’un raisin délicieux.
J’y pris ma part d’un modeste déjeûner et je sablai
avec joie un petit vin commun du pays, venant
de la cave du consul, tandis qu’il savourait avec
délices et à longs traits le vin de la Malgue, dont
j ’avais apporté quelques bouteilles. Ce vin lui rappelait
la France, et cette idée en doublait la valeur à ses
yeux.
Une heure fut donnée à cette importante occupation,
puis nous remontâmes à cheval et poussâmes
jusqu’à la lisière de la forêt, éloignée de vingt minutes