en passant quelques mousses qui tapissaient des fissures brûlantes
d’où sortaient des vapeurs aqueuses très-chaudes. Nous nous
y arrêtâmes quelques instants avant d’entreprendre notre dernière
ascension, dont nous mesurions d’avance toutes les difficultés.
Enfin, nous nous mîmes en marche. La base et les flancs
du Pain de Sucre sont couverts d’un amas d’obsidiennes
mouvantes dans lesquelles nous enfoncions à mi-jambe et
qui cédaient tellement sous nos pas que nous avancions à
peine d’un sur trois. Nous avions eu la précaution de marcher
tous de front pour éviter les accidents qu’auraient pu
occasionner les éboulements. Presque à chaque instant nous
étions obligés de nous arrêter pour repx’endre haleine, et nous
éprouvions tous plus ou moins des oppressions pénibles, occasionnées
par la grande raréfaction de l’air, qui furent accompagnées
chez quelques personnes de saignement de nez, tant cette
raréfaction avait rompu l’équilibre nécessaire dans notre organisation
entre la pression intérieure et celle de l’atmosphère. Enfin,
après nous être aidés bien souvent des pieds et des mains, nous
atteignîmes, au bout de trois quarts d’heure, le sommet du cône.
Arrivés là, nous vîmes un cratère à moitié’oblitéré, dont les parois
unies et légèrement inclinées, s’élevaient à des hauteurs inégales
et des bords desquelles, seulement, sortaient de distance en distance
des vapeurs sulfureuses assez abondantes. Le fond du cratère
paraissait tout-à-fait éteint. Nous contournâmes ce vaste entonnoir
en nous appuyant comme nous pouvions sur les blocs
irréguliers de basalte blanchis par la fumée, qui formaient les
parois du cratère, et qui, semées très-irrégulièrement, ne permettaient
d’accès que du côté par où nous l’avions abordé. Il est destiné
probablement à s’affaisser un jour pour donner cours à une nouvelle
éruption qui produira un nouveau cône, comme celui qu’il
couronne me paraît s’être élevé lui-même au-dessus d’un ancien,
cratère représenté parfaitement par le dôme qui lui sert de base ;
et celui-ci, à une époque beaucoup plus éloignée, où l'action
volcanique agissait avec une toute puissance dont les temps historiques
n’offrent point d’exemples , sortit lui-même sans doute
des Cañadas, ce grand cratère si bien dessiné, le plus important
de l’î le , dont l’origine elle-même fut toute volcanique. Les bords
des diverses fumerolles sont tapissés de beaux cristaux de soufre,
d'efflorescences d’alumines et d’alumines pâteuses. En marchant
dessus, nous éprouvions une chaleur assez vive. Nous ramassâmes
des échantillons de ces diverses substances, et quelques morceaux
d’obsidienne nitreuse, mêlée à la masse qui couvrait les
flancs du Pain de Sucre. Le ciel était pur, sans nuages, d’un bleu
sombre et la brise soufflait modérément du N. E ., la température
s’élevait jusqu’à i4° et baissait à l’ombre jusqu’à 90 ; et le froid
était encore sensible. Cependant, vers dix heures, nous commençâmes
à être incommodés de la chaleur, et plusieui's de nous
éprouvèrent des douleurs de tête assez vives auxquelles on fit peu
d’attention. Je me félicitai d’avoir apporté pour coiffure un chapeau
de paille, quoiqu’en partant de la Estancia, cette coiffure
ne fût guères de saison. Quand j’eus parcouru dans tous les sens
le cratèi'e et ses alentours, je m’arrêtai pour jouir du coup d’oeil
imposant que m’offrait la vue de la partie du pic de Teyde , qui
s’élevait au-dessus de la mer de nuages qui semblait l’isoler du
monde entier. Ces vapeurs se dissipaient cependant quelquefois
en partie, et me permettaient d’apercevoir sur quelques points la
grande chaîne de cratères qui descendent par gradation jusqu’à
la mer, et l’Océan sans bornes qui venait baigner la base du pic,
car la surface entière de l’île pouvait passer pour la sienne. Je
pus découvrir dans une de ces éclaircies, quelques-unes des îles
voisines qui paraissaient autant de points disséminés sur cette
immense surface. Un besoin vulgaire, mais qui n’en était pas
moins impérieux, m’arracha au bout de quelques temps à l’admiration
de ces merveilles de la nature queje neme lassais pas
de contempler ; l’heure du déjeûner était arrivée et nous commencions
à éprouver un vif appétit. Nous plaçâmes le fameux