d’être plus ingambe, j ’avais laissé ma confortable capote
pour endosser une veste de prunelle, aussi je fus
bientôt trempé jusqu’aux os. J’eus bien envie d’allumer
du feu pour me sécher, mais il se trouva que mon
imprévoyant compagnon avait oublié briquet et allumettes.
Dans cette fâcheuse conjoncture, le parti le
plus sage eût été de retourner à bord, mais il m’en
coûtait de renoncer à ma course, et je poussai de
l’avant, espérant qu’une marche forcée pourrait me
donner quelque chaleur.
Dans la plaine formée par la péninsule, on trouve
un grand nombre de ces cyprès dont j ’ai déjà parlé ;
mais aucun ne s’élève à plus de 10 à 12 mètres; et le
sol couvert d’un tapis très-épais de plantes naines, est
aussi parsemé de fondrières très-dangereuses.
A 2 ou 300 métrés de hauteur, près de deux marais
d’une eau très-claire, je tuai d’un seul coup deux
vanneaux; j ’en vis encore plusieurs autres, mais le
fusil refusa constamment son service. D’ailleurs mes
mains étaient déjà tellement glacées par le froid que je
ne pouvais plus mettre ma crosse en joue. Je fus donc
réduit à m’occuper uniquement de botanique, occupation
dans ce moment fort peu agréable, attendu
qu il fallait souvent s’étendre sur l’herbe mouillée pour
distinguer et arracher ces plantes presque microscopiques.
Au reste, ma récolte avait été si heureuse que j ’avais
recueilli déjà toutes les espèces rapportées la veille
par M. Hombron, et encore bien d’autres. Je me rappelais
très—bien d’en avoir vu un bon nombre dans
l’herbier de Commerson déposé chez M. de Jussieu,
12 ans auparavant, alors que je m’occupais de la publication
de ma Florula Macloviana.
Une partie de la montagne me parut formée par
une espèce de marbre blanc d’un grain très-fin; un
peu plus haut venait du grès; enfin dans les parties
les plus élevées, c’était un schiste lamelleux en forme
d’ardoise. Cependant il ne faut considérer ces observations
que comme des indications plus ou moins imparfaites,
car mes connaissances en géologie ont
toujours été très-bornées.
Je ne cessai d’herboriser avec succès tant que le sol
offrit quelque végétation. Nous trouvâmes le premier
glacier, longue ravine couverte d’une neige à demi-
gelée, sous laquelle on entendait le bruit d’un fort courant
alimenté par le dégel de la croûte superficielle.
Là, l’air était déjà très-froid et la marche très-pénible ;
cependant je voulus aller plus loin. Parvenu à la dernière
terrasse, à celle que domine immédiatement le
piton terminal, le vent devint si impétueux qu’il était
bien difficile de se tenir debout et tout-à-fait impossible.
de marcher sans courir le risque d’être violemment
jeté par terre.
Le froid étant devenu intolérable, mes mains complètement
glacées avaient perdu tout sentiment, et je
sentais dans tout le corps une impression de torpeur
et d’atonie générale qui me serait sans doute devenue
funeste si j ’avais voulu me reposer. En un mot je n ’ai
pas souvenance d’avoir jamais éprouvé un froid aussi
excessif.