d’un baromètre en bandoulière et chargés des observations de
physique, deM. le Guillou, chirurgien de la Zélée, de M. Lafarge,
enseigne de vaisseau, tous armés du marteau de géologue et
disposés à ne point s’épargner la peine pour ramasser des échantillons
de toute espèce du pic. Nous étions tous montés sur d’assez
bons chevaux et accompagnés chacun d’un guide pour modérer
plutôt leur ardeur que pour les stimuler, et d’un
sixième guide chargé d’escorter les deux ânes qui portaient les
bagages et les instruments. Nous prîmes en sortant de la ville la
route de Laguna qui suit les hauteurs voisines. Pendant l’espace
d’environ une lieue, cette route est assez bien entretenue, et ne
présente que les difficultés naturelles de la pente rapide du terrain;
mais au-delà, elle cesse pour ainsi dire d’étre tracée, et on
gravit les montagnes au milieu des coulées de basalte dont les
aspérités seules empêchent les chevaux de glisser. Sur les côtés
du chemin et par-dessus les blocs de basalte qui le bordent dans
quelques endroits, on aperçoit quelques champs de maïs fraîchement
récoltés dans les lieux seuls où les cultivateurs avaient pu
diriger les eaux, et çà et là quelques plants de figuiers et de cactus
qui rappelaient assez, surtout avec le ciel brûlant qui nous servait
de voûte, l’aspect de l’Afrique. Des misérables huttes voisines
disséminées sur le bord de la route, on voyait sortir des
enfants à demi-nus , sur la figure desquels des mouches se disputaient
le peu de place qui n’avait pas été envahi par la crasse,
et qui venaient nous demander sur le ton habituel des mendiants
de tous les pays un quartillo. En approchant de Laguna, le pays
s’embellit, et une fois rendus sur le plateau où est bâtie cette ville,
nous nous trouvâmes au milieu de champs de blé et de maïs, et de
jardins plantés d’arbres chargés de fruits, entourés de murs couverts
de treilles et de grandes joubarbes. A l’entrée de cette ville se
trouve une grande place bordée de beaux édifices. Ses rues sont
larges, régulières, garnies de trottoirs comme celles de Ste-Croix,
mais presque désertes. Les maisons n’y ont généralement qu’un
étage et le rez-de-chaussée est occupé par des boutiques qui n’ont
rien de remarquable, si ce n’est les nombreuses enseignes des barbiers
sur lesquelles on voit peints la lancette et le bras du patient
d’où le sang coule dans un vase placé au-des6qus. Ces enseignes
sont toujours restées en Espagne les attributs du métier, en dépit
des progrès qui ont séparé pour jamais en Europe la profession
des Sangrados de celle des Fígaros, et ont ravi à celle-ci son plus
bel apanage. Si on ne voyait à cette heure presque personne dans
les ru e s, nous surprîmes néanmoins aux ventanas plusieurs
jolis minois qui, poussés par la curiosité si naturelle aux filles
d’Eve, jetaient à la dérobée des regards sur nos costumes bizarres
et nos figures étrangères. Nous ne restâmes pas naturellement
en arrière, et saluâmes ces visages gracieux qui répondirent
à nos saluts avec ce ton de familiarité innocente et polie qui caractérise
les moeurs espagnoles.
Les champs voisins, une partie de la ville et les jardins de Laguna
ont formé jadis un lac où se déversaient les eaux qui
coulent des montagnes voisines et qui encaissent ce plateau au
N. E. et au S. O. C’est de là que lui vient son nom de Laguna.
Avant 1822, cette ville était le siège du gouvernement. Elevée de
4oo toises au-dessus du niveau de la mer, la température y est
aussi beaucoup plus agréable qu’à Sainte-Croix. Ses magnifiques
jardins couverts de palmiers, de dattiers, lui donnent en outre un
air de fraîcheur qui plaît, et en fait une résidence agréable.
En sortant de cette ville, nous entrâmes dans une plaine dont
le sol mêlé d’argile et d’un tuf volcanique extrêmement meuble,
paraît très-fertile. Les champs étaient encore couverts alors des
chaumes du blé et du maïs, témoignages des dernières récoltes,
et des charrues attelées de boeufs d’une petite race étaient en ce
moment occupées au labourage. Ce spectacle champêtre avait
pour nous un v if attrait; hors de la vue de la mer, nous pouvions
nous croire transportés au milieu des champs de notre pays, et
nous avions rompu pour quelques instants avec la vie mono