lunettes un camp nombreux de Patagons, établi près
du rivage avec leurs cabanes, leurs chevaux, leurs
chiens et même un pavillon américain planté sur un
morne voisin.
La brise me favorisant, je me décidai à mouiller
devant le havre Peckett ; la sonde rapportait assez
régulièrement 8 ou 7 brasses ; mais au moment où
nous passions à trois encablures au large d’un îlot
situé près de la pointe nord de la baie, la quille de la
corvette frotta tout à coup par moins de trois brasses.
Après une ou deux minutes d’hésitation, elle franchit
et poursuivit tranquillement sa route. Sur-le-
champ je hêlai à la Zélée, qui suivait immédiatement
dans nos eaux, de laisser porter, et cette manoeuvre
lui évita ce désagrément.
Au moment où l’on s’apperçut que nous touchions,
il y eut un moment d’étonnement et même d’agitation
dans l’équipage, et quelques clameurs se faisaient
déjà entendre. D’une voix ferme j ’imposai silence, et
sans paraître m’inquiéter en rien de ce qui venait
d ’arriver, je m’écriai : Ce n’est rien du tout et vous en
verrez bien d’autres. Par la suite, ces mots revinrent
souvent à la mémoire de nos matelots. Il est plus important
qu’on ne pense pour un capitaine, de conserver
le calme le plus parfait et la plus grande impassibilité
au milieu des périls les plus imminents, même
de ceux qu’il pourrait juger inévitables. En pareil
c a s , des ordres dictés par l’impatience, la colère et
l’épouvante démoralisent les marins et ne peuvent
amener que le désordre et la confusion dans les manoeuvres
à exécuter. Si le chef veut inspirer la confiance,
il faut qu’il conserve l’attitude la plus tranquille;
souvent même il est convenable que tout en redoublant
lui-même de surveillance, il paraisse plus indifférent
encore que d’ordinaire.
Une demi - heure après, nous laissions tomber
l’ancre par sept brasses et demie, sable et vase, et
nous filions 54 brasses de chaîne.