Décembre, étaient très-exactes; en outre, j ’avais la meilleure vue
de tout l’équipage : or, j ’ai toujours été convaincu
qu’un capitaine avec une bonne v u e , de bonnes
cartes et de la vigilance, peut se permettre toutes
sortes de manoeuvres, même celles que bien des
hommes jugeraient extravagantes. Je prévoyais que
dans mes tentatives au travers des glaces il nous faudrait
souvent recourir à des évolutions soudaines
et imprévues, et je voulais y préparer nos marins.
Mes intentions furent remplies, car au sortir
du détroit, les matelots des deux navires, en parlant
de nos opérations dans ce canal, aimaient à répéter :
Ce diable d’homme est enragé ; il nous a fait raser les
roches , les écueils et la terre comme s’il n’avait jamais
fait d’autre navigation dans sa vie.... Et nous qui le
croyions mort dans le dos!
C’est ainsi que leur confiance en moi prit naissance,
et qu’elle s’accrut successivement au point de me
désespérer; car ils s’imaginaient à la fin, dans les périls
les plus imminents, que j ’avais pris de gaieté
de coeur une semblable position, et que j ’en sortirais
toujours dès que je le voudrais.
14. Quand nous eûmes doublé le cap Negro, au lieu du
vent du nord sur lequel je comptais, une saute subite
nous amena du vent de l’E. S. E. qui passa au S. E.
soufflant grand frais avec des rafales violentes chargées
de torrents de pluie. Il fallut mettre à la cape, et
courir de petits bords entre le cap Negro et la Terre
de Feu.
Vers trois heures, dans une éclaircie bien fugitive,
nous pûmes reconnaître le cap Negro, l’île Elisabeth Dé1c^ r
et l’île Santa-Magdalena. Cela dura peu, mais c’en fut
assez pour me rassurer complètement sur ma position
et me démontrer que le courant ne nous avait
point portés vers les récifs qui avoisinent cette dernière
terre, la seule chose à craindre dans cette partie
du détroit.
Vers midi, la masse de la Terre de Feu se distingue
confusément au travers des grains, mais il est impossible
de distinguer aucun de ses accidents. A cinq
heures, le vent commença à varier et passa successivement
au S. S. E. au S. au S. 0 . et même à l’ouest
à huit heures. Alors l’horizon commence à se découvrir
un p eu , et les montagnes de neige de la Patagonie
montrent leurs crêtes dentelées. Parfois même les
deux côtés nous apparaissent en même temps, et
nous reconnaissons avec joie que nous avons gagné au
sud. Nous continuons à courir des bordées dans
ce but.
Debout dès trois heures du matin, je vois avec joie îs.
que le ciel s’est dégagé, les terres sont passablement
découvertes et je reconnais parfaitement les caps
Monmouth, Valentyn et même le cap Isidore.
A l’aide d’une jolie brise d’O. N. 0 . et d’une mer
très-unie, je force de voiles et commence à courir de
longues bordées pour atteindre le Port-Famine, dont
la pointe Anna nous signale bientôt l’entrée. Tout a
changé d’aspect autour de nous. Les deux terres sont
désormais très-bien accidentées, offrant plusieurs
plans de montagnes dont quelques-unes, fort élevées,