grande partie des raisins étaient encore loin d'être mûrs. Nous découvrîmes
bientôt après le port de l’Orotava, petite ville où il y a
un fort mauvais mouillage que fréquentent cependant les caboteurs,
pour y venir chercher les vins qui sont les plus renommés
de toute l’île. La plaine allait toujours en s’agrandissant, et comme
le chemin tournait à gauche, nous ne tardâmes pas à voir la ville
de l’Orotava, située à mi-côte dans une des positions les plus heureuses
qu’on puisse rencontrer. Les environs sont boisés, couverts
de jolies maisons de campagne, et le pays a un air de prospérité
que semblaient cependant démentir les importunités des
enfants et des femmes qui nous demandaient l’aumône sur la
route.
A quatre heures nous arrivâmes à l’Orotava, grande et jolie
ville, dont les rues sont larges, bien pavées , mais fatigantes à
cause de la rapidité de leur pente Les maisons, bâties avec une
pierre de lave noire, sont toutes d’architecture mauresque, et
ont un caractère d’originalité qui plaît à l’oeil ; mais ce que cette
ville a de plus remarquable et de plus curieux, ce sont ces eaux
limpides qui coulent avec une abondance rare, à plein canal ,
dans les principales ru e s, et répandent un air de fraîcheur délicieux.
Nous descendîmes près de l’église dans une auberge où
nos guides nous conduisirent, en nous disant, pour la vanter,
qu’elle avait logé dernièrement un prince Français. Comme c’est,
je crois, la seule de la v ille , ce n’était guères une recommandation.
Nous avions encore deux heures de jour devant nous; nous
les employâmes à visiter la ville et ses environs. Nous entrâmes
d’abord dans l’éghse, qui était tout contre l’hôtel l’architecture
en est mesquine et de mauvais goût ; un vieux padre, qui en était
le gardien, nous en fit cependant admirer les beautés que nous
cherchions en vain, en nous disant que c’était une imitation de
Saint-Pierre de Rome. La coupole appartient en effet au même
ordre d’architecture ; mais combien d’imitations des oeuvres du
génie n’ont rien de leurs modèles ! Nous nous gardâmes bien de
désenchanter ce brave padre, qui tout content de voir que nous
partagions son enthousiasme, nous conduisit jusquesdanslevestiaire
pour offrir successivement à notre admiration toutes les chasubles
; il nous proposa même de monter jusqu’au clocher, nous
avions nos jambes à ménager pour le p ic , et cela offrait trop peu
d’intérêt pour nous faire accepter son offre que nous refusâmes
poliment. Nous ne nous doutions pas alors qu’en acceptant celle
que des enfants qui nous suivaient, nous firent de nous conduire
au jardin botanique, nous allions faire ce que nous voulions éviter.
On nous l’avait dit à un quart d’heure de marche de la ville ;
nous en mîmes cependant trois à nous y rendre, suivis d’un nombreux
cortège de mendiants , dont nous ne nous débarrassâmes
qu’en distribuant des sous. Comme le chemin qui conduisait au
jardin allait en descendant, nous le parcourûmes sans nous apercevoir
de sa longueur. Il était bordé de haies d’épines en fleurs ,
entrelacées de charmants buissons qui servaient d’enceintes à de
jolies maisons de campagne. A la porte de chacune de celles-ci
nous croyions être au terme de notre route ; mais les enfans qui
nous guidaient, nous répondaient avec un imperturbable sang-
froid , luzgo señor. Enfin, cependant nous arrivâmes devant le
jardin, que rien ne distingue extérieurement, si ce n’est un
grand mur d’enceinte qui n’est pas toujours continu. La porte
donne sur une grande allée du côté de l’ouest, plantée de dracoena
draco, arbre particulier aux Canaries, qui produit une espèce
de résine à laquelle dans le pays on accorde des propriétés dentifrices.
Nous fûmes parfaitement accueillis à notre arrivée par la
señora don MiguelDaguaire, ou plutôt madame Daguaire, comme
elle nous led it, épouse du jardinier que nous avions rencontré
sur notre route avant Matanza. Après nous avoir raconté avec
une volubilité surprenante son histoire, celle de ses malheurs et
du naufrage qui l’avait condamnée à cet ex il, elle nous sauta presque
au c o u , tant elle paraissait heureuse, comme son mari, de
retrouver des Français. La pauvre femme nous exprima sa joie