vêtues d’un simple jupon moitié collant qui dessinait parfaitement
leurs foi'mes, d’une chemise et d’une mantille, la tète couverte
d’un chapeau de feuilles de palmier comme celui des hommes,
marchant pieds nus et portant presque toutes d’énormes paniers
de fruits, et causant entre elles d’un air joyeux et gaillard , ne
nous en demandaient pas moins un quartil/o.
Nous rencontrâmes bientôt après un compatriote qui fut dans
le ravissement de retrouver des Français avec lesquels il pût
parler sa langue natale, et qui, dans l’effusion de sa joie, fut sur
le point d’abandonner les affaires qui le conduisaient à Sainte-
Croix, pour nous accompagner jusqu’à l’Orotava et nous y recevoir
chez lui. Nous apprîmes de lui qu’il était directeur du jardin
botanique de cette ville, et il nous témoigna tout le plaisir qu’il
aurait à nous en faire les honneurs et à nous procurer toutes les
plantes et les graines du pays que nous désirerions. L’air ouvert
de ce brave homme prévenait tellement en sa faveur, que nous
regrettions vivement de ne pouvoir pas prolonger notre séjour à
l'Orotava jusqu’à son retour. Pour célébrer cette rencontre, nous
lui offrîmes au milieu du chemin des rafraîchissements dont
nous étions abondamment pourvus et nous trinquâmes avec lui
au souvenir de la patrie. Nous savions assez ce que c’était que d’en
être longtemps séparés , pour comprendre les sensations qu’il
éprouvait et qui lui faisaient tant d’honneur.
En le quittant, nous traversâmes un ravin profond formé par
une large fracture qui parait s’être produite dans les couches de
basalte qui se trouvent sur les côtes, et dominent la route à une
hauteur d’environ quarante pieds. On voit à nu les masses
prismatiques de leurs slratas inclinées ; celles-ci recouvrent des
bancs de tu f volcanique d’un rouge éclatant. Nous ramassâmes
quelques échantillons de ces roches qu’il fut très-difficile de détacher.
Bientôt après, tournant vers la gauche, nous vîmes se
déployer devant nos regards toute la partie occidentale de l’île, la
plus renommée pour ses vignobles. Aussi la culture en est-elle
très-soignée, et avant d’atteindre Matanza, les deux côtés de la
route étaient bordés de champs de vignes. Nous atteignîmes cet
endroit à une heure après midi ; les hauteurs qui le dominent et
le ravin profond qu’on traverse avant d’y arriver, ont été sans
doute le théâtre des exploits des Guanches, quand ils vainquirent
pour la dernière fois leurs intrépides conquérants. Là nous
fîmes une halte de quelques instants pour faire reposer nos
chevaux que la chaleur avait fait beaucoup souffrir ; nos guides
voulaient nous y faire arrêter pour dîner, mais ce point étant
encore trop près de Sainte-Croix, nous insistâmes pour passer
outre, et les fîmes taire en leur achetant du pain et des oeufs, et
quelques fruits pour nous désaltérer. L’auberge de Matanza ressemblait
parfaitement à ces hôtelleries si bien décrites dans les
romans de Le Sage ; ses murs étaient tapissés de mauvaises gravures
représentant la vie de Geneviève de Brabant et ses malheurs.
Le village se compose d’une quarantaine de maisons
autour d’une modeste église, sans compter les espèces de cavernes
habitées par de pauvres familles. Les jardins d’alentour sont
remplis de dattiers couverts de fruits qui sont petits et ligneux
et sont loin de ressembler aux dattes de la Barbarie. La principale
utilité de cet arbre, je crois, est l’emploi qu on fait de ses
feuilles pour faire des chapeaux et des nattes.
De Matanza à Vittôria, le chemin est roide et difficile. Le pays
est entièrement planté de vignes ; a droite, a une distance qui varie
d’une à deux lieues , on a la mer, et à gauche, dans le lointain
, d’assez hautes montagnes. Le village de Vittoria se compose
d’une centaine de maisons ; là les conquérants se vengèrent de la
défaite de Matanza, et le nom de leur victoire est resté au théâtre
de leurs exploits. La route est remplie de petits monuments qui
renferment des niches de saints et de madones, objets de la vénération
du peuple dont la religion ne consiste guères quen cela.
La campagne à nos pieds était remplie de paysans des deux sexes
occupés à la vendange; mais à la hauteur où nous étions, la plus