avec un courage digne de ces banians, sectateurs de Brama, qui,
par pénitence, se consacrent à nourrir de leur sang tous les
parasites de l’humanité, qui sont pour eux des objets dignes de
la plus grande vénération. A côté d’eu x , à travers un nuage de
fumée et à la clarté des feux , j’admirais les'figures calmes de nos
guides qui ressemblaient, tant par leurs costumes, les roches
qui reflétaient leurs ombres et leur air mâle et énergique, à ces
bandits de la Corse et de la Calabre, qu’on nous représente se
partageant la nuit le butin de la veille dans une halte au milieu
des montagnes. Je pris place alors aupi’ès du feu, et là j’essayai
de tracer quelques lignes, en attendant le jour, pour ma famille
et pour mes amis. J’arrivai ainsi à la troisième heure de la nuit ;
mes compagnons n’y pouvant plus tenir, se levèrent alors et
s’approchèrent du feu ; nous nous entretînmes des fatigues de
la nuit et nous convînmes que c'était forcer le sens des mots que
d’appeler cela du repos. Le thermomètre était alors descendu à
cinq degrés ; nous arrêtâmes en conseil quatre heures et demie
pour le moment du départ, afin de ne pas nous trouver
avaritle point du jour à Alta-vista, où le chemin devient impraticable
de nuit. Quand cette heure tant désirée arriva, nous nous
mîmes en IroUte escortés du guide et de deux de nos muletiers
qui portaient nos instruments, les vivres et un pâté que nous
avions destiné à être mangé solennellement sur le sommet du
cratère. Nous avions alors dans la figure une bise glaciale de nord
à laquelle on était plus sensible qu’à des gelées intenses; cet air
était tellement se c , que nous avions déjà les lèvres toutes gercées,
et en grimpant par une pente aussi rapide, on était d’autant
plus suffoqué, que l’air était déjà excessivement raréfié ; j’éprouvai
pour mon compte des douleurs d’oreilles comme quand on
plonge à une grande profondeur, et j’avais beau hâter le pas sur
ce terrain mouvant et difficile, j ’avais marché pendant près d’une
demi-heure, avant d’avoir pu me réchauffer les pieds. 11 faisait à
peine jo u r , quand nous atteignîmes Alta-vista ; nous ne nous y
arrêtâmes que le temps nécessaire pour reprendre haleine. Au
bout d’une demi-heure environ de m arche, au milieu de blocs de
trachyte et de basalte, en sautant de l’un sur l’autre, au risque
de se rompre le cou et en faisant de la gymnastique continuelle,
nous arrivâmes à la Cueva de las Nieves (grotte des neiges), espèce
de grotte où, pendant toute l’année, l’eau reste congelée, et
où, dans l ’été, on vient souvent chercher de la glace de l’Orotava.
Là, nous fûmes témoins d’un des plus magnifiques spectacles
auxquels on puisse assister dans les montagnes, surtout à cette
hauteur, celui*du lever du soleil, qui sortait alors brillant et radieux
du sein des vapeurs qui couvraient l’Océan et n’éclairait
encore que les habitants favorisés de ces régions; car pour les
créatures de la plaine et du rivage, son disque qui paraissait
considérablement aplati et grandi au-delà de toute idée par la réfraction
, était encore plongé au-dessous de l’horizon pour quelque
temps. Les effets du rayonnement à l’en tour avaient quelque
chose de fantastique ; il eût fallu des pinceaux pour pouvoir les
rendre, et je doute encore qu’il eût été possible d’y parvenir; à
plus forte raison ma plume"serait-elle impuissante ; je me bornerai
donc à signaler ce phénomène aux observateurs curieux, comme
digne à lui seul de les engager à gravir de hautes montagnes. Le
thermomètre marquait alors 5°,8 et le baromètre était descendu
à om,4994- Nous aperçûmes bientôt après l’espèce de pain de sucre
appelé el Pilon, qui s’élevait majestueusement du milieu.du
plateau qui couronne la montagne. Nous mîmes pi’ès d’une heure
à atteindre cette espèce de dôme, tant la marche était lente et difficile
entre les deux amas de blocs basaltiques qui couronnent ses
flancs. Grâce à la saison, on n’apercevait aucune neige dans les
vides qu’ils laissaient entre eux; quand elle recouvre ce sentier, il
est bien de redoubler de prudence, mais on ne peut pas dire cependant
que ce passage offre jamais, comme on le disait jadis, de
dangers sérieux. Un peu avant d’arriver à la petite plaine semée
de massifs de lave d’où s’élève le Pain de Sucre, nous ramassâmes