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manière bien plus effrayante, e’est que M. Jacquinot
me voyant à sec de voiles, et croyant que j ’étais réellement
mouillé, vint lui-même jeter l’ancre à une distance
raisonnable. Mais en dérivant, XAstrolabe s’en
rapprocha, et l’ancre de bâbord ayant enfin paré
quand nous eûmes filé assez de chaîne, les deux corvettes,
travaillées à la fois par le vent et le courant, au
travers d’une mer très-dure, faisaient des sauts terribles
l’une vers l’a u tre , et dans ces mouvements désordonnés
elles ne passaient quelquefois qu’à une
dizaine de mètres l’une de l’autre. La mer était si
rudement tourmentée, que les lames, quoique très-
courtes , venaient quelquefois déferler jusques sur le
pont. Sans doute un abordage en pareille circonstance
eût eu des suites épouvantables ; mais à cela il n ’y
avait rien à faire qu’à attendre patiemment. C’est
donc ce que nous fîmes, et après deux heures
d’anxiété bien vive, vers minuit, le vent et le courant
perdirent ensemble beaucoup de leur violence, et le
reste de la nuit se passa tranquillement*.
La force du courant qui entraînait la ligne nous
avait fait penser que nous avions mouillé par 22
brasses, mais il n ’y avait réellement que 16 brasses
de fond.
En montant sur ma dunette, à six heures du
matin, je jouis d’un ciel d’une admirable sérénité et
d’un horizon parfaitement pur. La mer était tout-à-
fait calme, et nos deux corvettes se balançaient doucement
au milieu d’un beau bassin qui nous semblait
complètement environné de terres, car on distinguait
à peine les entrées des deux goulets. Les terres
étaient peu élevées, agréablement accidentées, toutes
dépouillées de verdure, à cela près de buissons très-
clair-semés. Au N. 0 . règne la chaîne modeste des
monts Grégory, et dans le S. E. seulement commencent
à se montrer des sommités plus élevées.
Yers huit heures, la marée commença à filer au
S. 0 . ; nous levâmes l’ancre et mîmes à la voile avec
une faible brise du S. 0 . Comme j’avais à traverser
une zone où nous n ’avions guères que sept et huit
brasses d’e a u , je profitai de notre faible sillage pour
mettre la drague à la traîne, dans l’intérêt de l’histoire
naturelle, et elle rapporta beaucoup d’objets curieux
dont M. Hombron fit son profit.
A midi, à l’aide d’une jolie brise du N. E. nous
avons donné dans le second goulet, filant cinq ou six
noeuds. Mais il paraît que la marée était encore contre
nous, attendu que 24 milles environ fournis par le
loch, de deux heures à six heures après-midi, se sont
réduits à 7 milles de vraie route.
Dès le matin, de grands feux allumés des deux côtés
de la baie Saint-Philippe, nous avaient démontré la
présence desPatagons sur la cote nord, et des Pécherais
sur la côte sud. En filant le long du goulet, nous
vîmes des Guanaques sur la côte de la fe rre de Feu.
Au premier abord, la distance nous les fit prendre
pour des sauvages montés à cheval, tantôt a rrê té s,
tantôt galopant le long de la plage; et cela m’étonnait
beaucoup, car je savais qu’on n ’avait jamais vu de