établissement; du reste, il est facile de concevoir que
les colons espagnols ne durent employer dans toutes
leurs constructions que du bois et de la terre ; et l’un
et l’autre ont dû disparaître complètement dans un
laps de temps de deux à trois siècles; mais l’aspect
des lieux confirme de plus en plus le voyageur dans
l’opinion que Philippeville ne put occuper aucune
autre position; ou bien elle eût été très-mal choisie
pour sa défense.
Au point culminant de ce morne remarquable est
plantée une planche dont l’inscription annonce qu’elle
a été élevée à la mémoire du maître dépêché (master
sealing) et d’un matelot du Ketch-Uxbridje, noyés en
1829, dans Fury-harbour. C’est toujours avec une
sorte de mélancolie que l’on parcourt ces modestes
inscriptions ; un retour bien naturel sur nous-mêmes
nous rappelle involontairement qu’exposés à des dangers
semblables, nous sommes exposés à un pareil
sort. Mourir sans doute est la loi commune, et plus que
tout a u tre , le navigateur qui va à la découverte de
côtes ignorées doit envisager la mort de sang-froid ;
mais mourir loin de tous ceux qui vous sont chers,
sans pouvoir leur adresser un dernier adieu, c’est, à
mon avis, l’idée la plus triste, la plus affligeante pour
l’homme qui a de véritables affections sur cette terre.
Après avoir acquis, M. deRoquemaurel et moi, la
conviction que M. Morrell s’était complètement joué
de la bonne foi de ses lecteurs, nous voulûmes re joindre
le canot ; mais, comme la marée était basse,
il avait dû se tenir à près de deux encablures au large;
je lui hèlai de se rapprocher de la rivière, où nous ’I f e -
pûmes nous embarquer, et nous rentrâmes à bord
vers dix heures.
En descendant, nous avions vu beaucoup de poissons
frétiller dans les eaux voisines de la rivière, et
j ’avais fait donner l’ordre de diriger les pêcheurs sur
ce point. La seine et le trémail y furent mis en jeu, et
pour la première fois on prit assez de poissons pour
que tout l’équipage en eût une ration honnête.
C’étaient toujours des mulets, des éperlans et des
loches.
Un peu après midi, je débarque sur la plage voi- 20.
sine du morne de Philippeville, et suivi d’un de mes
canotiers, je m’enfonce dans une forêt composée de
beaux a rb re s , et qui n ’est séparée du rivage que par
une lisière étroite d’un terrain marécageux. Sur les
bords de cette forêt, on voit les vestiges d’abattis
d’arbres fort considérables et déjà anciens. Plusieurs
des arbres, toujours des hêtres, qui les composaient,
ont d’énormes dimensions; ainsi j’en mesurai deux,
dont l’un me donna 3m,23 et l’autre 3ra,26 de circuit à
hauteur d’homme. Le premier était encore en pleine
vigueur, l’autre était mort, mais on en pouvait trouver
de plus gros encore.
Pour la première fois, je recueillis sur des feuilles
souvent baignées dans l’eau , de petites coquilles fluviátiles
voisines des bulimes de la plus petite taille, et
je ramassai quelques plantes que je n ’avais pas encore
trouvées. Je fis surtout une récolte assez abondante
de lichens et de mousses sur les troncs d’arbres.