pauvre , bien aride, bien nu en comparaison de ces
florissantes et admirables plantations des Moluques et
des îles de la Sonde, où ces mêmes végétaux se développent
avec un luxe et une vigueur incroyables.
Toutefois, il est juste d’ajouter que ce petit enclos
de M. Mangri était un Eden à côté de celui du pauvre
Bretillard qu’il me montra ensuite. Placé vers le penchant
de la côte, ce n ’est qu’un méchant coin de terre
aride, triste et sauvage. Dans la saison favorable une
maigre plantation de blé et de pommes de terre peut
lui donner un peu de verdure, mais en ce moment il
est d’une nudité attristante. A peine si un ou deux
arbres rabougris offraient un ombrage suffisant contre
les rayons du soleil. Un petit pavillon , qui couronnait
ce prétendu jardin, eût pu offrir quelque
agrément, à cause de la belle vue dont on y jouissait,
mais on le laissait tomber en ruines.
Une bonne partie des coteaux voisins est couverte
de Cactus coccifera, et j ’appris que la culture de la
cochenille est pratiquée aujourd’hui à Ténériffe avec
activité et succès. Le consul m’assura toutefois que c’était
une industrie bien chétive. Le demi-kilogramme
ne se vend que douze francs et coûte bien du travail
et bien des peines pour la récolter, et surtout pour
la préparer avant qu’elle puisse être livrée à ce prix.
Depuis un moment, mes yeux fixaient avec curiosité
une longue ligne blanche qui serpentait à une
grande hauteur le long de la montagne et dont la
blancheur éclatante tranchait vivement sur la teinte
grisâtre du terrain. M. Bretillard m’apprit que c’était
l’aquéduc en pierre, construit par les soins d’un des
derniers gouverneurs, nommé Moralès, en place des
simples conduits en bois qui conduisaient jadis l’eau
à Santa-Cruz. On avait été obligé de tailler le roc sur
une foule de points, et dans un endroit il avait fallu
couper une montagne entière pour frayer un passage
aux eaux.
Pour satisfaire au désir que j ’exprimai, le consul se
mit à marcher devant moi pour nous en rapprocher.
Nous eûmes d’abord à gravir une côte assez roide au
travers des laves et des scories. Au bout d’une demi-
heure environ, nous nous trouvâmes dans le petit sentier
pratiqué au-dessus de l’aquéduc lui-même. Bientôt
ce chemin se trouva suspendu le long d’une pente
si escarpée qu’il a fallu entamer profondément le roc
à gauche, tandis qu’à droite la vue plonge sur des
précipices déplus de 150 mètres de profondeur. C’est
alors un petit sentier sans parapet et dont la largeur
se réduit quelquefois à 5 ou 6 décimètres au plus.
Je m’étais d’abord engagé dans cet effroyable défilé
sans trop y prendre garde, et comptant qu’il avait peu
d’étendue 5 mais en le voyant s’étendre au-delà de mes
prévisions, je ne pus me défendre d’un certain sentiment
de terreur involontaire. Malgré mon excellente
vue, et peut-être même pour cela, je suis du nombre
de ces personnes qui n’aiment point à se trouver suspendues
sur des objets situés à leurs pieds sans avoir
au moins un point d’appui. Je demandai à mon guide,
qui marchait devant moi d’un pas assez dégagé, s’il
fallait cheminer longtemps de cette manière. Il me