du mouillage, P oste aux L ettres. Espérons que le digne capitaine
Carrick passera bientôt en ces lieux et se chargera de
porter en Europe des nouvelles de notre expédition, pour rassurer
quelques gens timides qui nous croient déjà peut-être broyés
dans les glaces ou les rochers.
(M. Roquemaurel.')
Note 4o, page 99.
Dans la baie Famine se jette la rivière Sedger que plusieurs
voyageurs ont trouvée navigable à diverses hauteurs, selon l’encombrement
de son lit. Deux jours après notre arrivée, nous
partîmes de grand matin dans une yole légère pour en tenter
l’exploration, avec la résolution bien arrêtée de le remonter autant
que nous le pourrions. A son embouchure, les bords sont plats
et marécageux, mais à un demi-mille le lit s’encaisse au milieu
d’une forêt presque impraticable. De chaque côté s’élèvent des
arbres gigantesques, les uns déchaussés par le courant de la rivière
et prêts à tomber, les autres debout encore et servant d’appui
aux premiers, jusqu’à ce qu’ils soient déracinés à leur tour. Un
grand nombre étaient abattus sur la rive et n’attendaient qu’une
crue de la rivière pour descendre à la mer, aller s’échouer et
pourrir sur d’autres rivages. Il serait difficile d’imaginer un tableau
plus pittoresque que celui que chaque coude dévoilait à nos
yeux. Partout c’était ce désordre admirable que l’on ne saurait
imiter ; un amas confus d’arbres, de branches brisées, de troncs
couverts de mousses qui se croisaient en tous sens.
A neuf heures du matin, nous trouvant, d’après notre estime,
à quatre milles environ de l’embouchure, nous mîmes pied à terre
sur un point où la forêt était moins épaisse et songeâmes à dévorer
un excellent déjeûner qui avait été apporté. Le froid et la
longue matinée avaient considérablement aiguisé nos appétits qui
surent faire une prompte justice du solide et du liquide qui, en
dépit de certains Spartiates, firent sur nous un effet infiniment
plus salutaire que leur brouet noir. Avant notre halte, nous étions
graves comme des docteurs en théologie, mais à dater de ce moment,
la chaleur de nos estomacs se communiquant à nos cerveaux
, la gaieté remplaça cette gravité insipide qui fait tout juger
froidement et dont le mérite est d’empêcher de dire et de faire
des sottises sans jamais pouvoir mener à bien. Voici bien ,
diront les sages, le raisonnement d’un fou; mais en dépit d’eux,
je maintiens mon dire.
Pendant que nos hommes se reposaient, nous nous répandîmes
dans la forêt en quête d’oiseaux, d’insectes et de plantes,
mais le peu de fruits que nous retirâmes de nos recherches, nous
les fit bientôt abandonner, et à onze heures, nous nous remîmes
en route pour continuer notre course. A mesure que nous avancions,
le courant augmentait et souvent nous fûmes forcés de débarquer
pour haler le canot à la cordelle. La rivière se rétrécissait
et la force diminuait considérablement à chaque coude. A trois
heures nous arrivâmes à un point très-resserré entre des falaises
assez élevées et après avoir vainement lutté contre la force du
courant qui se précipitait sur les bords , nous nous décidâmes à
rebrousser chemin. Nous pûmes exactement estimer, en descendant,
la distance que nous avions parcourue; elle s’est trouvée de
7 milles ^ , et je crois que personne n’a remonté cette rivière plus
loin que nous; quoique notre yole tirât très-peu d’eau, nous touchions
à chaque instant au point où nous nous sommes arrêtés et
que nulle embarcation n ’aurait pu franchir. Je pense que nous
devons notre réussite à une grande crue de la rivière dans les
jours précédents, crue dont nous vîmes encore les traces toutes
fraîches et qui avaient sans doute déblayé le lit des arbres qui
doivent presque toujours l’encombrer.
(M. Montravel.')