lement, et contre lequel notre gaieté naturellement bruyante,
réagissait avec peine. Nous passâmes près de l’ancien collège,
grande et belle maison qui ressemble à un palais, aujourd’hui
déserte, grâce aux persécutions qu’éprouvèrent ceux qui étaient
jadis à la tète de cet établissement. Je cherchai en vain du regard,
dans le jardin qui l’entoure, le beau pied de dracoena draco si
souvent cité par les voyageurs, arbre que la tradition a dit bien
antérieur à la descente de Jean de Bethencourt et de ses compagnons
dans l’île, en i4o6, époque à laquelle il était aussi haut
et aussi creux qu’aujourd’hui. Cependant il a 48 pieds à sa base,
et avait 70 pieds de hauteur avant le coup de vent de 1819. Le
savant M. Berthelot qui a trouvé des dracænas dans les lieux les
plus inaccessibles de l’île, a prouvé que cette plante est l’arbre
propre des Canaries. Ses recherches ont démontré que les
Guanches faisaient des bouchons de son bois, et d’autres savants
ont fondé 'là-dessus l’hypothèse qu’il devait être le dragon du
j ardin des Hespérides de la fable, hypothèse qui s’accorderait
avec celle qui suppose que les Canaries sont les débris de l’Atlantide
des anciens, abiméedans un jour de cataclysme, celui où, selon
quelques géologues, Calpe ou Abyla s’ouvrirent pour laisser
passer les eaux de la Méditerranée. Nous suivîmes, en sortant de
la ville, pendant trois quarts d’heure environ j un sentier étroit
qui traversait des ravins, où la lave glissante se montrait souvent
a nu. A gauche, nous laissions des chaumières entourées de
figuiers, de cactus et de treilles, et à droite des vignobles plantés
par gradins, comme on les cultive en Provence et dans tous les
pays ou les coteaux sont escarpés. Nous arrivâmes ensuite dans
un magnifique vallon couvert d’énormes châtaigniers au feuillage
touffu, qui semblaient être enfermés dans des murs naturels de
basalte représentant les arêtes qui encaissent ordinairement les
diverses coulées sur les flancs d’une montagne volcanique. Les
éboulements successifs et les eaux ont tellement modifié la surface
de ce ravin, qu’il paraît aujourd’hui former le lit d’un torrent ;
la végétation y est pleine de vigueur, et le doit sans doute aux
eaux qui, sans être apparentes, doivent suinter presque partout
en arrosant un peu. Après avoir Iraversé ce vallon, nous vîmes
encore quelques champs de maïs et de lupin, et bientôt après une
nature tout-à-fait inculte. On ne voyait plus alors que des arbres
à feuilles épaisses et persistantes, tels que des lauriers, des olea,
dès ilex, des myrtes, etc. Nous étions entrés dans ce qu’on appelle,
avec raison, la région des nuages; car presque toujours un rideau
de ceux-ci nous séparait du pays qui était au-dessous de nous,
nous interceptait la vue de la mer, et nous offrait de ce côté, quand
les rayons du soleil réussissaient à pénétrer au travers, des apparitions
vraiment fantastiques. Quelques pins rabougris se distinguaient
parfois au milieu de cette végétation qui bientôt elle-
même changea tout-à-fait de caractère, et nous entrâmes alors
dans la zone des bruyères touffues , dont la hauteur variait de
quatre à cinq mètres. Les espèces en paraissaient assez variées, et
à leur ombre on voyait s’élever quelques thyms rabougris et
d’autres petits arbrisseaux. On voyait voltiger autour de ces
fleurs quelques papillons, peu d’oiseaux ; mais en revanche, le
gibier y abondait, des lapins partaient à chaqtie instant au pied
de nos chevaux, nous n’avions malheureusement ni le temps ni
les moyens de les chasser. En nous élevant un peu, l’atmosphère
s’éclaircissait, mais aussi la végétation devint beaucoup moins
active, les bruyères plus rares. Nous fîmes halte au fond d’un
petit ravin , pour attendre les mules chargées de bagages, et
reposer nos montures qui en avaient bien besoin. Le so le il, qui
avait dissipé les brouillards, nous permettait d’apercevoir tout le
chemin que nous venions de parcourir : nous avions derrière
nous tout le rideau de montagnes qui sépare l’Orotava de Laguna,
et devant nous l’entrée des Cañadas et le pic qui se détachait majestueusement
de sa base et semblait se perdre dans les nues. Des
paysans qui descendaient d’un village situé à gauche des Cañadas,
le plus élevé de toute l’île, vinrent nous vendre des figues