et des fruits de cactus que la nature stérile qui nous entourait
nous fit trouver délicieux : d’autres portaient à l’Orotava des
copeaux de bois gras destinés aux pêcheurs. Tous ceux-ci, habitués
à voir des voyageurs escalader le pic, étaient bien loin
de comprendre le but qui nous y conduisait, mais n’en paraissaient
pas moins fiers, comme tous les habitants de Ténériffe, de
ce que leur île possède une pareille merveille. Ils nous prédirent,
en nous quittant, du beau temps, mais nous engagèrent à bien
nous défier du froid. Dès que nous nous remîmes en route, le chemin
commença à devenir de plus en plus difficile, et nous ne vîmes
plus pour toute végétation autour de nous, que des cytises et des
Spartùim suprà-nubium. Sur les flancs des montagnes que nous
avions à notre gauche, on apercevait des cônes aplatis qui n’étaient
autres que les anciens cratères des volcans dont les éruptions
avaient produit les coulées qui tapissaient les bords des
ravins. Nous nous arrêtions souvent pour regarder derrière
nous la mer de nuages formés par les vapeurs condensées sur
les forêts et qui nous interceptaient la vue du véritable océan.
Souvent l’horizon paraissait même si bien marqué que l’illusion
était presque complète ; on voyait les flocons écumeux
des lames qui ressemblaient à des flocons de neige, et quelquefois
même plusieurs étages marqués, qui tous offraient à nos regards
l’aspect du ciel pommelé des marins toujours si changeant.
C’était à nos pieds et non au zénith que le ciel paraissait, et ce
spectacle tout nouveau pour moi qui n’avais jamais gravi de
hautes montagnes, m’offrait le plus vif intérêt, et je ne me fatiguais
pas d’en jouir.
Nous laissâmes à gauche, avant d’entrer dans les Cañadas,
la grotte du pin ( Cueva del Pino) des Espagnols, remarquable
en ce qu’elle renferme le seul pin qui croît à cette hauteur. Nous
fîmes ensuite notre entrée dans les Cañadas, grandes plaines tout-
à-fait désertes et stériles, recouvertes entièrement de pierres ponces
et d’obsidiennes, dont la couleur blanchâtre réfléchit les rayons
du soleil au point d’éblouir, et produirait une chaleur très-grande
si elle n’était tempérée par le vent du nord, déjà très-frais à cette
hauteur de i 4oo toises. Aussi l’air était d’une siccité fatigante.
Ces vastes plaines resserrées entre des montagnes d’où leur vient
le nom de Cañadas (qui veut dire gorges de montagnes), ont formé
l’ancien cratère du volcan. Là, la végétation cessa presque entièrement,
le Sparlium suprà-nubium est la seule plante qui survit,
encore est-il très-disséminé. Il en de même des oiseaux et des
insectes, et cette nature inerte x’end le trajet triste et monotone au
milieu de ces solitudes. Des blocs de basalte à cristaux de feldspath
paraissent çà et là au milieu de ces plaines où ils semblent
avoir été lancés du cratère ou volcan dans les grandes éruptions
des temps anciens , et viennent seuls rompre l’uniformité des
champs d’obsidienne. Plusieurs de ces blocs ont jusqu’à vingt
pieds de diamètre , leurs formes sont très-variées et on aperçoit
quelques prismes assez prononcés sur leurs arêtes. Avant d’entrer
dans les Cañadas, nous rangeâmes de très-près un cratère
éteint qui paraît avoir été en activité à une époque très-rappro-
chée de nous. Les mules glissaient presque à chaque pas sur ce
sol mouvant, et l’une d’elles fit un faux pas qui renversa son
cavalier, accident qui n’eut d’autre suite que de casser un baromètre;
aussi redoublâmes-nous de prudence. Nous mîmes une
heure et demie à franchir ce passage. Du milieu des Cañadas on
aperçut enfin le dôme immense du pic sur les flancs duquel on
voyait d’énormes blocs de basalte entassés de manière à rappeler
les grandes murailles cyclopéennes. Mais les masses de chacun
de ces blocs étaient telles que la nature seule avait pu les y
placer, et ce travail pouvait défier tous ceux des géants. Ces
masses énormes suspendues sur nos têtes nous masquaient souvent
la vue du cône, au pied duquel nous arrivâmes enfin à trois
heures et demie. Nous l’attaquâmes bravement alors, par un
monticule très-escarpé, formé d’un amas d’obsidiennes jaunâtres
et de pierres ponces qui, cédant sous les pieds des mules, ren