« alors de cinq heures. Il avait projeté, si ce n ’était
« pas ici le détroit, de sortir de cette baie et de monter
« vers le pôle jusqu’à 75°, où le soleil serait toujours
« sur l’horizon. Des trois vaisseaux, le premier fut
« repoussé par les courants dans la Mer du Nord.
« Alors les Espagnols se saisirent du capitaine Alvar
« Meschiste, neveu de Magellan, le mirent aux fers, et
« après lui avoir fait signer, dans les tortures, une dé-
« claration portant que ce détroit prétendu n ’était
« qu’une fable inventée par son oncle et par lui, à
« dessein de faire, comme ils l’avaient fait, cruelle-
« ment périr les Espagnols, ils reprirent le chemin
« de l’Europe, amenant avec eux l’un de ces géants
« patagons, qui mourut dès qu’il sentit les climats
« chauds. Le second bâtiment, qui avait cherché dans
« un canal vers le sud-est, ne trouva qu’une mer
« basse, pleine d’écueils et de roches escarpées. Mais
« le troisième, qui avait tiré au sud-ouest, rapporta
« qu’il avait trouvé une belle rivière remplie de sar-
« dines, à qui l’on en avait donné le nom; que quoi-
« que en trois ou quatre jours de navigation, il n ’eût
« point aperçu d’issue, il avait toujours trouvé la mer
« sans fond ; que l’observation des grands courants,
« qui semblaient venir à lui d’une haute mer, l’avait
« déterminé à envoyer en avant la chaloupe, laquelle
« avait enfin découvert un cap avancé sur un nouvel
« Océan. A ces mots, les cris d’allégresse se répan-
« dirent par tout l’équipage. La plupart de nos gens
« pleuraient de joie. Notre général imposa d’avance à
« ce cap le nom de cap Désiré, et nous donnâmes au
détroit celui de Magellan. (Les naturels du pays
l’appellent Kaïka). Nous fîmes voiles, ayant à notre
droite le continent, que nous appelons des Patagons;
à la gauche, un autre que nous nommâmes
Terre de Feu, parce qu’on en voyait quantité sur
les côtes, et que le flux, aussi bien que le bruit des
courants, nous fit juger être un amas d’îles. Tout ce
détroit me parut de la longueur d’environ 100 lieues.
Qn y trouve en abondance du bois, de l’eau douce,
de belle verdure, des dorades, des albacores, des
bonites, des poissons volants appelés colondiens,
exquis à manger. Mais le pays était si froid, si rude,
si peu cultivé, qu’avec l’impatience qui nous tenait
tous de voir un nouvel Océan, notre général ne
jugea pas s’y devoir arrêter. Nous descendîmes seulement
dans les terres à une lieue du débouquement
du détroit, et nous ne trouvâmes qu’une mauvaise
cabane et plus de 200 sépulcres. Il nous parut que
les sauvages venaient ici inhumer leurs morts près
du rivage, et qu’ils avaient leurs habitations plus
loin dans les terres. La quantité de squelettes de
baleines jetés par la tempête contre les côtes, nous
donna lieu de conjecturer que la mer était fort
orageuse en ce détroit. Les côtes en sont, durant
50 lieues, pleines de belles baies les plus agréables
du monde. Le reste est de montagnes couvertes de
neiges ; sauf certaines forêts de grands arbres, dont
le bois brûlé rendait une bonne odeur, qui nous
rafraîchissait les esprits animaux. Le 28 novembre,
vingt-deuxième jour de notre entrée dans le détroit,