IXVI INTRODUCTION,
de fin de non-recevoir, enfin ce qu’on appelle vulgairement
de Veau bénite de cour. Peu jaloux de commencer
à mon âge le triste métier de solliciteur, et
pour fixer mon opinion et ma conduite, je m’adressai
à un ancien camarade et ami, M. Chaucheprat,
alors secrétaire intime du ministre , plus tard secrétaire
général du ministère, et le priai de me dire sincèrement
ce qui en était ; celui-ci m’assura que le
ministre était réellement dans les meilleures intentions
à l’égard de mon projet, qu’il n’était arrêté que par le
chapitre des dépenses. M. Chaucheprat ajoutait que
cette affaire était renvoyée à l’examen de M. Tupiriier,
chef de la direction des mouvements, et que le succès
dépendait du rapport qu’il en ferait. Cet administrateur
, dont l’esprit éclairé se plaisait à encourager tout
ce qui pouvait ajouter aux progrès des sciences et à
l’honneur national, m’honorait depuis longtemps de
son estime et de sa bienveillance ; dès-lors je pus espérer
dans la réussite de ma proposition.
En effet, vers la fin de février, je reçus une communication
par laquelle on m’annonçait que le roi lui-
même , auquel on avait soumis mon projet, l’avait
bien accueilli, mais qu’ayant appris qu’un baleinier
américain s’était fort approché du pôle austral, il désirait
qu’une expédition française fût envoyée dans la
INTRODUCTION. U yu
même direction. En conséquence , on me proposait le
commandemant de deux navires, et je débuterais dans
ma campagne par une pointe vers le pôle austral.
J’avoue qu’à la première lecture de cette proposition,
tout-à-fait inattendue , j ’éprouvai une singulière
impression; un moment je restai stupéfait et irrésolu;
mille pensées vinrent traverser mon imagination , et
plusieurs d’entre elles n’étaient pas du tout propres
à m’exciter à entrer dans cette voie. En effet, la carrière
nouvelle que l’on voulait m’ouvrir n’avait jamais
été en rapport avec la direction de mes goûts ni de mes
études. J’avais lu les voyages où le roi avait dû puiser
ses projets ; ce ne pouvait être ailleurs que dans les
journaux de Weddell ou de Morrell; or de ces deux
navigateurs , simples pêcheurs de phoques, le dernier,
m’était déjà connu pour un fabricateur de contes, et
la véracité de l’autre ne m’était pas bien démontrée.
J’embrassais facilement toutes les chances d’une tentative
aussi aventureuse, dans l’hypothèse où l’on eût
voulu la remplir en conscience, et je ne voulais m’en
charger qu’à cette condition. Ainsi, dès le début du
voyage, il pouvait fort bien arriver que des avaries
graves ou des pertes fâcheuses me contraignissent à
retourner en France et, par conséquent, à renoncer
aux conquêtes scientifiques que je me proposais d’exé