Voyant qu’il m’était impossible d’aller plus loin
sans un danger imminent, considérant aussi qu’il n ’y
avait plus la moindre trace de végétation, bien que
nous fussions encore à 500 mètres environ au-dessous
du sommet, je pris le parti de rebrousser chemin. Cette
décision causa une grande joie à mon compagnon
Joseph. Jusqu’à ce moment il n ’avait osé rien dire ;
mais il m’avoua alors qu’il ne pouvait pas imaginer
ce qui me poussait à braver un froid pareil, et qu’il
croyait qu’il en serait mort si j ’avais voulu continuer.
Notez pourtant qu’il était muni d’une bonne capote de
laine bien chaude.
Du point où nous étions parvenus, nous aurions joui
d’une vue magnifique si le ciel avait été clair. Immédiatement
sous nos pieds, à gauche se déroulait le bassin
de San-Miguel et celui de Port-Galant sur la droite.
Les canots de MM. Marescot et Gourdin paraissaient
gros comme des coques de noix, et nos deux corvettes
eussent passé tout au plus pour de petites chaloupes.
Toute la péninsule, entre les deux baies, pouvait
s’embrasser sous un angle très-aigu, semblable à
une petite plaine basse, uniforme et médiocrement
boisée ; on y voyait aussi çà et là quelques marais.
Comme je redescendais, malgré le froid violent que
j’éprouvais, je voulus encore glaner quelques échantillons.
Tandis que je voulais cueillir une charmante petite
pinguicula sur les bords d’une flaque d’eau, mes mains
glacées ne me permirent plus de manoeuvrer conve-
blement ma serpette qui coupait parfaitement; elle se
referma malgré moi sur l’index de la main droite et
m’ouvrit une entaille très-profonde près de la seconde
articulation. Vainement je voulus y faire une
ligature avec mon mouchoir, il en découla|quantité
de san g , ce qui acheva de me mettre hors de
combat.
Heureusement, à mi-chemin environ, la pluie cessa,
le vent s’adoucit, et grâce à la vitesse de notre marche,
la chaleur vitale revint peu à peu et nous remit en
bonne humeur. Du reste il nous fallut deux heures
entières pour descendre en marchant d’un bon pas
sans nous a rrê te r: nous avions mis trois heures à
monter. Je fus content de la conduite de Joseph dans
cette circonstance; il se montra bon compagnon et
supporta courageusement cette course vraiment pénible
à tous égards.
Nous rentrâmes à bord vers cinq heures; je changeai
de linge et dînai de bon appétit, ce qui m’eut
bientôt remis de mes fatigues.
Le capitaine Jacquinot étant venu prendre mes
ordres, je lui annonçai que je renonçais à sortir du
détroit par l’ouest, à cause de la saison trop avancée;
que j ’allais revenir sur mes pas, faire en sorte d’avoir
une entrevue avec les Patagons, puis rallier au plus
vite les régions antarctiques.
MM. de Montravel et Marescot sont rentrés dans la
soirée , et malgré le mauvais temps, tous deux ont honorablement
rempli leur mission*.
Dès quatre heures tout le monde est debout, et l’on