dans un langage moitié espagnol, moitié français (car en voulant
apprendre la première langue, elle avait oublié l’autre) qui avait
quelque chose de plaisant, et nous fit de son mieux les honneurs
du jardin, en nous exprimant tous ses regrets de l’absence de don
Miguel. Cet établissement qui est aujourd’hui dans un état presque
d abandon, fut créé par un riche Espagnol des Canaries , à
la fin du siècle dernier ; il voulait doter son pays de toutes les
productions des pays tropicaux. Le gouvernement, auquel il appartient
aujourd’h u i, y entretient un jardinier, sans faire seulement
le quart des frais qui seraient nécessaires pour le maintenir
sur un pied d’utilité pour le pays et d’agrément pour les habitants.
Je remarquai, en me promenant, toutes les plantes du midi
de la France, et beaucoup d’arbres de' la Chine et des Canaries ,
tels que le superbe magnolia, l’arbre à suif de la Chine, le vernis
du Japon, le dracoena-draco et une grande quantité d’ananas. Je
me procurai un peu de la fameuse racine de dracæna, et la nuit
nous ayant surpris tandis que nous étions à contempler toutes ces
richesses végétales, nous prîmes congé de la vieille senora, qui
nous vit partir presque les larmes aux y eu x , et nous exprima encore
une fois combien elle serait heureuse de revoir sa chère Lorraine,
ce qui excita parmi nous les sentiments d’intérêt et de pitié
quelle méritait. Il faut voir hors de leur pays les gens qui ont
perdu 1 espoir de jamais y rentrer, pour pouvoir comprendre
combien est fort le sentiment qui nous y attache. En remontant
jusqu a 1 Orotava, nous éprouvâmes une vive chaleur, et la montée
qui nous avait paru si douce en descendant, futtrès-pénihle,
et nous arrivâmes a l’hôtel, harassés de fatigue. Nos compagnons
q ui, pour ménager leurs baromètres, n’étaient arrivés qu’après
nous à 1 Orotava, nous attendaient avec impatience, et nous nous
mimes à table aussitôt. Notre appétit avait été tellement excité
par la marche, que nous nous aperçûmes à peine combien tout ce
qu on nous servait était mal prépare. Comme nous quittions là
nos montures pour prendre des mules, nous arrêtâmes celles-ci
et un guide pour le lendemain. L’hôtel n’ayant pas de chambres
suffisamment pour nous loger, on établit des lits de sangle dans
la salle du billard, où nous reposâmes tant bien que mal jusqu’au
lendemain matin. Le froid qui fut naturellement sensible à des
gens comme n o u s, qui venions de passer par les chaleurs de
Santa-Cruz et de la route, nous éveilla heureusement avant cinq
heures, que nous avions indiquées à nos guides pour l’heure du
départ, car ceux-ci s’étaient endormis sur la consigne, et nous
aurions éprouvé sans cela un grand retard.
Nous nous levâmes tous dans les meilleures dispositions. Nos
bagages étaient si considérables qu’on mit beaucoup de temps à
les charger ; il avait fallu cette fois ajouter une mule de renfort
pour porter l’eau qui nous était nécessaire, à l’endroit où nous
devions bivouaquer ; nous avions en outre un guide spécial pour
voyager dàns les solitudes voisines du pic qui ne sont connues
que d’un petit nombre de gens. Le temps était beau, l’air calme,
et les nuages qui couvraient la veille au soir le sommet du pic,
étaient dissipés et nous promettaient une journée sans p lu ie ,
temps presque indispensable pour un pareil voyage. Car on
souffrirait beaucoup au bivouac de X Es tancia, et avec des pluies
comme celles qui tombent dans la montagne, il serait impossible
de gravir le pic et même dangereux de le tenter. A cinq heures et
demie, notre caravane était en campagne, munie de vivres et d’eau
pour deux jours, auxquels chacun de nous avait ajouté quelque
chose qu’il portait avec lui et un léger à-compte pris à l’hôtel.
Nous sortîmes de la ville par un chemin i*apide, pavé de laves
glissantes q u e , grâces à nos excellentes montures, nous franchîmes
rapidement. Le jour commençait à paraître, mais à cette
heure, où presque tout le monde dormait encore, le silence de la
ville, la teinte sombre de ses maisons, le style de leur architecture,
le léger brouillard qu’on apercevait dans la montagne et
celui qui reposait sur la mer dans le lointain, donnaient à tout
ce qui nous entourait un air de sévérité qui invitait au recueil