quelle les ronces et les herbes effacent bientôt les traces de la
bêche,
Les deux corvettes étant mouillées au havre Peckett, nous nous
trouvâmes à terre unç grande partie de l’état-major des deux navires.
Le vent de N. O ., maniable le matin, fraîchit de telle sorte
vers le soir, qu’il nous parut certain qu’avec la meilleure volonté
possible on serait forcé de nous laisser passer la nuit avec les
Patagons. En vain nous fîmes des feux de peloton, à la pointe où
l’on devait nous prendre} Y aperçu parut bien à la corne, mais
les grands canots étaient toujours filés sur leurs bosses, derrière
Y Astrolabe et la Zélée, et vraiment il ne faisait pas un temps à les
mettre dehors.
A six heures du soir, ayant pris notre parti en braves, nos dix-
sept estomacs demandaient à grands cris leur nourriture ordinaire.
Mais, hélas ! nous avions été trop prodigues avec les Pata-
gones, qui se faisaient payer leurs caresses avec du biscuit , ou
plutôt nous les avions trop caressées ; de manière qu’il ne nous
restait qu’un grand appétit, et le gibier que quelques- uns, de nous
avaient tué en rôdant autour du camp.
Nous retournâmes près des, tentes, chercher quelqu’un qui
nous parût bien approvisionné en guanaque, et proposer des
échanges aux propriétaires ;; mais les malheureux étaient presque
aussi affamés que nous . Pour dernière ressource, nous eûmes recours
au chef, et lui demandâmes l’hospitalité. Il donna l’ordre à
ses femmes de nous faire une tente près de la sienne, et partagea
avec nous la venaison qu’il possédait encore : c’était peu de chose
pourtant de monde. Les femmes nous allumèrent un feu devant
notre hutte. Là se bornait l’hospitalité ; il nous restait à faire
cuire notre dîner, consistant en oiseaux et une bouchée de guanaque
pour chacun.
Alors vous auriez vu dix-sept officiers de marine occupés à
vider des huîtriers, à plumer des alouettes et des bécassines, et les
embrochant à une baguette de fu sil, pour les foire rôtir devant le
feu j et cela avec le même sang-froid qu’ils auraient mis à commander
la manoeuvre d’un vaisseau.
Jamais, peut—etre, un repas ne fut assaisonné par un appétit
plus violent, et moins rassasié.
Vers neuf heures du soir, la brise ayant molli, nous pûmes retourner
à bord. Heureusement pour nous, l’hospitalité patagone
nous fut inutile ; car il fit toute la nuit un vent et une pluie horribles.
ÇM. Coupvent.)
Note 7 1 , page i5 i .
A midi, le canot-major est de retour, après avoir laissé à terre
ses passagers; il ramène à leur place trois Patagons et un Européen
vêtu d habits usés, sans souliers, montrant sur toute sa personne
les marques de la misère et de la privation : son attitude
souffrante et sa maigreur inspirent la pitié. Interrogé d’abord en
auglais, il nous dit q u il provient du schooner américain Anna-
ffoward, capitaine Johnson , destiné à la pêche des phoques.
Abandonné par ce nayire, sur un rocher aux environs du cap
P illa i, avec sept de ses camarades, ils parvinrent à traverser
le détroit dans 1 embarcation qui leur était laissée et joignirent
la tribu patagone avec laquelle nous communiquons. Là, ils se
séparèrent : ses compagnons s’en furent avec le canot, et lui resta,
avec un autre individu nommé Smith, au milieu des Patagons. Il
vante beaucoup l'hospitalité des Patagons, quoique les fatigues
de leur existence errante lui aient imposé des privations qui on t
ébranlé sa santé. La voix de Jean Niederhauser est pleine d’émotion
lorsquil raconte son histoire; et lorsqu’il reçoit l’assurance
qu il ne tient qu a lui de s embarquer a bord de la corvette, d’abondantes
larmes inondent son visage. Longtemps il ne peut surmonter
son émotion, et laisse intacts dans l’entrepont les aliments
qu’on s’est empressé de lui présenter, et dont il avait été privé si