40 H i s t o i r e N a t u r e l l e
niers animaux, & le foetus ne doit guère avoir plus de
deux pieds de long lorfqu’il éclot, à quelque efpèce
démefurée qu’il appartienne ; nous avons vu & mefuré
de jeunes Serpens évidemment de la même efpèce que
ceux qui parviennent â trente ou quarante pieds de
long, & leur longueur n’étoit qu’environ de trois pieds,
quoique leur conformation & la pofition de leurs diverfes
écailles annonçaffent qu’ils étoient fortis de leur oeuf
depuis quelque tems lorfqu’ils avoient été tués. Mais
fi ces grands Serpens ont befoin au moins du même
tems que les Crocodiles pour atteindre à leur entier
développement, ne doit-on pas fuppofer que leur vie
eft auiii longue ?
Sa durée ferait bien plus confidérable, ainfi que celle
de prefque tous les animaux qui vivent dans l’état
fauvage, & qui ne reçoivent de l’homme ni abri, ni
nourriture, s’ils pouvoient pafler par un véritable état
de vieillefl'e, & fi le commencement de leur dépérifle-
ment n’étoit pas prefque toujours le terme de leur vie.
Prefque aucun des animaux qui font dans le pur état
de Nature, ne prolonge fon exillence au-delà du
moment où fes forces commencent à s’affoiblir. Cette
époque, q u i, dans l’homme placé au milieu de la
fociété,, n’jndique tout au plus que les deux tiers de fa
vie, marque la fin de celle de l’animal fauvage. Dès le
moment que fa vigueur diminue, il ne peut ni atteindre
à la courfe les animaux dont il fe nourrit, ni fupporter
la fatigue
la fatigue d’une longue recherche pour fe procurer les
alimens qui lui conviennent, ni échapper par la fuite
aux ennemis qui le pourfuivent, ni attaquer ou fe
défendre avec des armes fupérieures ou égales. Dès-
lors ayant moins de reifources, lorfqu’il aurait befoin
de plus de fecours ; exyofé à plus de dangers, lorfqu’il
a moins de puiffance & de légèreté pour s’en garantir,
manquant plus fouvent d’alimens, lorfqu’il lui eft plus
nécefl'aire de réparer des forces qui s’épuifent plus vite,
da foibleife va toujours en augmentant ; la vieilleife
n’eft pour lui qu’un inftant très- court, auquel fuccède
une décrépitude, dont tous les degrés fe fuivent avec
rapidité : bientôt retiré dans fon afyle, où même quelquefois
il a bien de la peine à fe traîner, il meurt de
dépériflement & de faim, ou eft dévoré par des animaux
plus vigoureux que lui. Et voilà pourquoi l’on ne rencontre
prefque jamais d’animal fauvage avec les lignes
de la caducité ;■ il en ferait de même de l’homme qui
vivroit feul dans le véritable état de Nature ; fa vie fe
terminerait toujours au moment où elle commencerait
à s’affoiblir ; la fociété feule, en lui fournilfant les
fecours, les abris, les divers alimens, a prolongé des
jours qui ne peuvent fe foutenir que par ces forces
étrangères ; l’intelligence humaine a doublé, pour ainfi
dire, la vie que la Nature avoit accordée à l’homme ;
& fi les produits de cette intelligence, fi les réfultats
de la fociété , fi les arts de toute efpèce ont amené.
Serpens , Tome IL F