144 H i s t o i r e N a t u r e l l e
certaines faifons de l’année , où la Couleuvre verte <Sc
jaune , fans être dangereufe, montre ce deiir de fe
défendre ou de fauver ce qui lui eft cher , fi naturel
à tous les animaux ; on a vu quelquefois ce Serpent,
furpris par l’afpeét fubit de quelqu’un , au moment
où il s’avançoit pour traverfer une route , ou que ,
prefle par la faim, il. fe jetoit fur une proie, fe
redrefler avec fierté , & faire entendre fon fifflement
de colère. Mais dans ce moment même , qu’auroit-on
eu à craindre d’un animal fans venin, dont tout le
pouvoir n’auroit pu venir que de l’imagination frappée
de celui qu’il auroit attaqué , & dont la force &. les
dents même ne font dangereufes que pour de petits
lézàrds & d’autres foibles animaux qui lui fervent de
nourriture ?
Dans tous les endroits où le froid eft rigoureux ,
la Couleuvre commune s’enfonce , dès la fin de l’Automne
, dans des trous fouterrains ou dans d’autres
creux , où elle s’engourdit plus ou moins complètement
pendant l’hiver. Lorfque les beaux jours du
printemps paroiflent, ce Reptile fort de fa torpeur &
fe dépouille comme les autres Serpens. Revêtu enfuite
d’une peau nouvelle, pénétré d’une chaleur plus vive ,
& ayant réparé toutes les pertes qu’il avoit éprouvées
par le froid ôc la diète , il va chercher fa compagne
& faire entendre , au milieu de l’herbe fraîche, fon
fifftement amoureux. Leur ardeur paroît très-vive ,» on
les a vus
les a vus fouvent s’élancer contre ceux qui étoient
venus troubler leurs amours dans la retraite qu’ils
avoient choifie. Cette afleélion du mâle & de la
femelle, ne doit pas étonner dans un animal capable
d’éprouver , pour les perfonnes qui prennent foin de
lui lorfqu’il eft réduit à une forte de domefticité , un
attachement très-fort, & qu’on a voulu même comparer
à celui des animaux auxquels nous accordons le
plus d’inftinét ; & c’eft peut-être à l’efpèce. de la Couleuvre
verte & jaune qu’il faut rapporter lefait fuivant,;
attefté par un Naturalifte très-digne de foi (a). Cet
Obfervateur a vu une Couleuvre , qu’il a appellée
le Serpent ordinaire de France , tellement affeélionnée
à la maîtrefîe qui la nourrifloit, - que ce Serpent fe
gliflbit fouvent le long de fes bras comme pour la
carefler, fe cachoit fous fes vêtemens [ ou alloit fe
repofer fur fon fein-. Senfible à la voix de celle qu’il
paroifloit chérir , il alloit à elle lorfqu’elle l’appelloit |j
il la fuivoit avec confiance ; il reconnoifîoit jufqu’à fa
manière de rire ; il fe tournoit vers elle lorfqu’elle mar-
choit, comme pour attendre fon ordre. Ce même Naturalifte
a vu un jour la maîtrefi'e de ce doux & familier
Serpent, le jeter dans l’eau pendant quelle fuivoit
dans un bateau le courant d’une grande rivière ; le
(a ) Dictionnaire d’Hift. natur. par M, Valmont de Bomare, article
du Serpent familier-
Serpens, Tome II. t