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6c fe répand enfuite par les' dents canines ; pour cela
ils irritent la Couleuvre & la forcent à mordre plufieurs
fois un morceau d’étoffe ou quelqu’autre corps mou ,
& à l’imbiber de fon poifon. Pour l’exciter davantage
à exprimer fon venin, ils ont quelquefois affez d’adreffe
6c de courage pour lui preffer la tête fans en être
mordu, 6c la mettre par-là dans une forte de rage
qui lui fait ferrer avec plus de force 6c pénétrer d’une
plus grande quantité de poifon , le morceau d’étoffe
ou le corps mou qu’on lui préfente enfuite. Après
avoir privé la Couleuvre de fon venin, ils veillent
avec beaucoup d’attention à ce qu’elle ne prenne
aucune nourriture , 6c ils empêchent fur-tout qu’elle
ne mange de l’herbe fraîche , de nouveaux alimens
lui rendant bientôt de nouveaux fucs vénéneux 6t
mortels,
Kempfer prétend que l’on a un remède affuré contre
la morfure venimeufe de ce Serpent, dans la plante
que l’on nomme mungo ainfi qu'ophiorrvm , qui croît
abondamment dans les contrées chaudes de l’Inde ,
6c que l’on a employée non-feulement contre la morfure
de plufieurs Reptiles , ainfi que des. fcorpions ,
mais même contre celle des chiens enragési L’on difoit,
fuivant le même Kempfer, que l’on avoit découvert
fes vertus anti-vénéneufes en en voyant manger à des
Mangouftes ou Ichneumons mordus par des Naja , 6c
que c’étoit ce qui ayoit fait appliquer, à ce végétal le
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nom de mungo , donné auffi par les Portugais aux
Mangouftes. Ces quadrupèdes fon t, en e ffe t, ennemis
mortels du Serpent à lunettes, qu’ils attaquent toujours
avec acharnement, 6c auquel ils donnent aifé-
ment la mort fans la recevoir, leur manière de faifir
le Naja les garantiffant apparemment de fes dents
envenimées.
Non-feulement les Naja fervent à amufer les loifirs
des Indiens ; ils ont encore été un objet de vénération
pour plufieurs habitans des belles contrées orientales,
6c particulièrement de la côte de Malabar. La crainte
d’expirer fous leur dent empoifonnée, 6c le defir de
les écarter des habitations, avoient fait imaginer de
leur apporter jufques auprès de leurs repaires, les
alimens qui paroiffoient leur convenir le mieux ; les
Temples facrés étoient ornés de leurs images, 6c fi
ces Reptiles pénétraient dans les demeures des habitans
, ou fi on les rencontroit fous fes pas, bien loin
de fe défendre contr’eux 6c de chercher à leur donner
la mort, on leur adreffoit des prières, on leur offrait
des préfens , on fupplioit les Bramines de leur faire
de pieufes exhortations, on fe profternoit, on tâchoit
de les fléchir par des refpeéls , tant la terreur 6c l’ignorance
peuvent obfcurcir le flambeau de la raifon (a).
(a) « Une autre efpèce que les Indiens nomment Nulle Pambou ,