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CHAPITRE XV.
D E l ’e m p l o i A L IM E N T A IR E D E S C I IA J I P IG N O N S .
Dans tous les siècles et chez toutes les nations arrivées à
uu certain degré de civilisation, les champignons ont figuré
sur la table des riches comme sur celle des pauvres : chez
les riches comme uu objet de luxe peut-être, mais chez les
pauvres comme aliment de première nécessité.
Les Grecs, et surtout les Romains, avaient pour ces végétaux
une passion singulière. Les hommes adonnés de
longue main aux plaisirs de la table, ve.teres voluptaarii,
portaient, dit Pline, le raffinement si loin, q u ’ils ne s ’eu
reposaient que sur eux-mêmes du soin de leur préparation.
Ils les apprêtaient dans des vases d ’argent, comme chose
précieuse, les coupaient et les servaient avec des instruments
de ce métal ou A’e/eclnim (alliage d ’or et d ’argent).
Les deux espèces q u ’ils recherchaient de préférence
étaient la truffe, q u ’ils appelaient Taber, et notre Oronge
vraie, qui chez eux portait le nom de Boleius. Ils appréciaient
singulièrement cette dernière.
Tous les auteurs latins qui eu ont parlé accompagnent
son nom d ’une épithète flatteuse. Martial, qui dans scs
écrits eu fait l ’éloge à chaque instant, va ju sq u ’à dire que
EMPLOI ALIMENTAIRE DES CHAMPIGNONS. Ii3
de sou temps ou lui donnait la préférence sur l ’or ( i ) .
.luvéïial, dans sa satire sur les parasites, dit qu’à la table
de Vircoii, l’Oroiige était servie au maître de la maison, et
les champignons de second ordre aux convives subalternes.
L ’Oronge cependant ne conserva pas toujours à Rome la
liante estime dont elle jouissait. L ’empereur Claude, qui
en était très-gourmand, ayant été empoisonné par Agrip-
pine, sou épouse, qui lui en fit servir uu plat dans lequel
se trouvait un poison préparé par la trop célèbre Locuste,
cela je ta pour uu temps de la défaveur sur ce champignon,
que Néron, faisant allusion à la mort de Claude et à son
apothéose, appelait avec une ironie cruelle un manger des
dieux ; mais cette défaveur ne dura guère, tant l ’Oronge
avait d ’attraits pour les palais voluptueux.
L ’empereur Claude n ’est pas, du reste, le seul souverain
qui ait eu uu goût p rononcé pour lès champignons. Le pape
Clément VII avait, dit Bruyerin, une telle passion pour les
Ghampignoiis qui viennent au printemps, — les Mousserons
ou les Morilles sans doute, — que tous les jours il s’en faisait
servir des plats entiers. 11 avait rendu un édit qui défendait
à tous les sujets de l ’État romain d ’en cueillir, dans
la crainte d ’eu voir manquer l ’espèce. Il mangeait aussi
des melons immodérément. Sa mort prématurée fut invoquée
comme une preuve certaine que la manière de vivre
a de riiifiuence sur la durée de l ’existence. Tombé malade
par suite d ’abus de ces aliments, tout l ’art de Curtius, médecin
des plus savants de cette époque, ne p u t , ajoute
Bruyerin, lui conserver la vie.
Quelques personnes aujourd’hui encore vont ju sq u ’à risquer
leu r existence pour satisfaire leur appétit pour les
(1) Argcntum atquo aurum facile est lænamquc togamque
Mittcre : boletos niittere difficile est.
(Mart., epigv. 48, te r. 13.)