en décapitant une belle nuit quelques douzaines de conjurés.
Cela valait bien une visite de l’amiral.
Pour ne pas demeurer en reste de politesse, le vice-roi
nous invita tous à assister aux exercices de ses troupes,
10 à 15,000 hommes, sur le champ de manoeuvre d’Out-
chang. La réputation de ces troupes était venue aussi jusqu’à
nous. Nous savions qu’Outchang, grosse ville administrative
et militaire, quartier des yamens et des casernes
en cette région, est une sorte de place forte (1); que, pendant
son intérim de Nankin, le vice-roi avait organisé la
brigade chinoise A d astra, grâce au concours d’officiers
allemands expédiés par l’ambassade chinoise de Berlin et
par la maison Krupp; que, de ces officiers, les uns étaient
restés à Nankin comme professeurs de l’école de guerre,
tandis que les autres rejoignaient le vice-roi à Outchang;
qu’enfin, depuis les événements de Pékin surtout, il avait
pressé l’instruction de ces troupes armées à l’européenne,
et qu’il se montrait fier de leurs rapides progrès. Mais nous
en avions assez vu, des camps chinois, des exercices chinois,
et nous étions fixés sur la valeur efficace de ces milices
provinciales, hordes presque barbares. Nous acceptâmes
donc avec une curiosité sceptique.
Notre visite était fixée au lundi 20 mai. Des complications
d’étiquette protocolaire l’ont ajournée de vingt-quatre
heures. En Chine, les grandes questions sont des questions
de forme. Le principal but de la diplomatie chinoise étant
de « faire perdre la face » à l’étranger, le principal soin de
l’étranger doit être de « sauver la face », s’il ne veut
pas être méprisé. Or, pour nous faire perdre la face, les
Chinois s’étaient avisés l’autre jour d’envoyer, comme représentants
du vice-roi à l’inauguration du quai de France,
(1) Il y a près d ’un demi-siècle, Oliphant écrivait le déploiement des forces militaires de Wo-Chang est : ce« qAu et onuotu sp reanvidornes vu jusqu'alors de plus considérable en Chine. »
des mandarins très insuffisamment qualifiés. Nous avions
droit à mieux. Le consul de France a réclamé, et fait ajourner
la visite au vice-roi jusqu’à ce que celui-ci eût fourni
des explications. Nous n’en avons été que plus cordialement
accueillis : nous avions recouvré la face!
Mardi, donc, le Charrier remonta le Yang-tse, et alla
mouiller aux cales d’Outchang, où le vice-roi nous avait
envoyé des chevaux. Nous fûmes reçus par ses deux fils,
âgés de quinze et vingt-cinq ans, et qui sortent d’une école
militaire japonaise. Tous, depuis l’amiral et le commandant
jusqu’aux maîtres, nous voilà partis, à cheval, en pousse-
poussë, promenant nos uniformes de grande tenue à travers
l’inénarrable saleté d’une cité chinoise, parmi les aboiements
des chiens, les exclamations ébahies du peuple, les cris
effarés des enfants, et les grognements des porcs, les seuls
indigènes qui parussent décidément hostiles. Nous arrivâmes
à un yamen devant lequel s’étendait une immense
cour. Sur les murs on avait peint des cibles; dans un coin,
s’ouvrait un gymnase dont l’installation ne laissait rien à
désirer. C’est sur ce terrain clos que nous attendaient trois
mille hommes; un régiment’ de trois bataillons, deux escadrons
de cavalerie, deux batteries de huit canons d’environ
cinquante millimètres. Dès notre entrée, le bon ordre des
troupes massées au fond, leur immobilité parfaite, nous saisirent.
Correctement vêtues, solidement bottées, en tenue de campagne,
sac au dos, elles regardaient droit devant elles;
l’infanterie, l’arme au pied; l’artillerie, rangée derrière ses
pièces; les lanciers, raides,sur leurs petits chevaux tartares.
Aussitôt les clairons font résonner un « Garde à vous »
qui fut notre second étonnement, car il étair français, français
harmonisé et écorché à la chinoise. Le chef de ces
clairons a été l’élève d’un clairon français émigré autre