Sortis enfin de cette ville une et triple, nous traversons
d’abord plusieurs faubourgs populeux ; puis, vers neuf
heures, nous atteignons Tching-Ho, gros village, sous-préfecture,
au nord de Pékin. Nous obliquons alors vers le nord-
ouest, et nous nous arrêtons pour déjeuner à Cha-Ho (Fleuve
du sable : un gros ruisseau et un grand pont), où notre convoi
n’arrive qu’à onze heures et demie, une heure après nous.
Il n’y a qu’une auberge; par bonheur, elle est confortable :
jugez-en par ce menu : Sardines; — gigot froid; omelettes;
— côtelettes de mouton; épinards au jus; poulet rôti. —•
Pommes, poires, pêches, raisins, gâteaux chinois. — Glace
(apportée de Pékin). — ; Bordeaux.
En dehors des conserves de légumes et du vin, toutes
les autres provisions que nous avons emportées nous sont
inutiles, car oh trouve sur place du porc, du mouton, des
oeufs, des poulets et des fruits. La Chine, évidemment, se
civilise, si c’est se civiliser que devenir carnivore. Ce qui
la distinguait naguère, c’est son horreur pour les rôtis, et,
encore aujourd’hui, dans la plus grande étendue de l’empire
chinois, on implorerait vainement une côtelette ou un
filet aux pommes.
Après le déjeuner, la sieste est obligatoire, car, de midi
à trois heures, le soleil est si chaud qu’il serait imprudent de
l’affronter. Ce repos, d’ailleurs, était opportun; la route, en
effet, jusqu’ici assez bonne, devient très mauvaise à partir
de Cha-Ho. Ce ne sont que cailloux et fondrières. La pente
est dure à remonter : connaissez-vous la montée de Gérard-
mer à la Schlucht? Je m’en suis souvenu. Les sapins et
l’épaisse végétation de là-bas faisaient ici défaut, mais il y
avait aussi plus de rochers et des cimes plus hautes : ce sont
les premières cimes de la Mongolie.
Nous avions espéré être à Nan-Ko ou Nan-Keou avant la
nuit; mais un nuage nous surprit pendant la traversée dun
village, et nous avons dû nous mettre à l’abri, trop heureux
qu’il ne nous eût pas accablés en pleine montagne. Il faisait
une chaleur pesante. Tout à coup, la grêle se mêle à la pluie,
et le sol est bientôt couvert de grêlons dont certains sont
plus gros que le pouce. Ces soudains orages ne sont pas
rares dans ce pays : à Pékin,.en juillet, j ’ai eu vraiment l’idee
du déluge universel. Une pluie torrentielle a commencé la
nuit pour ne finir qu’à trois heures de l’après-midi. Vers dix
heures du matin, la rue des légations n’était plus quun
impétueux arroyo qui, aux carrefours, traversait autant de
lacs. Les Chinois avaient de l’eau jusqu’aux cuisses, les Européens
ne se risquaient au dehors qu’en voiture ou à cheval;
encore les chevaux plongeaient-ils dans le courant jusqu’au
poitrail.
De nouveau le soleil luit, nous nous remettons en route,
et nous nous arrêtons de nuit à Nan-Ko, après avoir trébuché
de compagnie, bêtes et gens, sur une route affreusement ravinée.
Notre convoi ne nous y rejoint qu’une heure après, a
huit heures et demie. Mais, enfin, vers neuf heures, la table
de « la meilleure auberge » de ce chef-lieu d’arrondissement
avait l’honneur de nous recevoir, près de deux missionnaires
français qui se rendaient de Kalgan à Pékin
pour leur retraite annuelle. Après une chevauchée de cinquante
cinq kilomètres, nous avions des droits, d’abord au
festin réconfortant qui nous fut offert, puis au voluptueux
sommeil que nous avons goûté, même couchés deux par
chambre, enveloppés dans nos coùvertures sur les lits de
camp chinois.
L e lendemain, comme nous devons revenir coucher,^ e
soir, à la même auberge, nous n’emmenons avec nous qu’un
mulet de bât, laissant le reste du convoi à Nan-Ko. Le
temps est toujours radieux, mais, par contre, la route toujours