je m’épanouis dans la tiédeur d’une hospitalité cordiale. A
la vérité, mes hôtes occupent une soupente dont on ne voudrait
pas en France pour cabinet de débarras. Mais personne
n’a l’air de s’en apercevoir. On dîne, et fort bien : c’est
un dîner d’adieu offert au commissaire Caroff, qui va quitter
Tong-Ku pour embarquer sur le Redoutable. Le soir, un
canot a vapeur me conduit d’abord à un remorqueur, où
j ’emprunte des bottes, indispensables en ce pays de fange
liquide; puis, à l’aviso Bengali, où a dîné le docteur, que
je cueille en passant; enfin, devant une maison d’apparence
assez propre. C’est notre hôtel provisoire. Je n’ai dans ma
chambre ni chaise, ni glace, ni cuvette, ni table de nuit;
mais il y a un lit, enveloppé d’une moustiquaire, et je passe
une nuit suffisamment calme.
Le train partant a six heures, nous avions recommandé
de nous reveiller a cinq heures. Dans son zèle excessif, le
matelot chargé de ce soin nous a, dès quatre heures, précipités
hors du lit et & la maison. Qu’elle nous a semblé
longue, cette heure supplémentaire d'attente sous la pluie
et même sous l’abri relatif de la gare!
Pendant la route, le temps se découvre, et nous trouvons
Tien-tsin éclairé par un soleil radieux, qui ne nous quittera
plus pendant tout notre voyage. Nous n’avons pourtant fait
encore que cinquante kilomètres sur les cent cinquante qui
séparent de Pékin l’embouchure du Pei-Ho.
Tien-tsin, une heure d’arrêt (i). Pendant que le docteur
va chercher du pain et du chocolat, car nous n’avions rien
mangé le matin, je reste garder les bagages, et je promène
mes yeux tout autour de moi. La gare de Tien-tsin, si
éprouvée, est désormais célèbre. Tout autour d’elle, les mail„(
1rlp mefn *a .fln„ d® 1897 <*ue Li-Hung-Chang prolongea rm n lS iim ?» « . a Tien-tsin, peut-être simplement jpuosuqru 'fàa cPiélikteinr l exploitation de ses mines de charbon de Kaiping.
sons en ruines se comptent par centaines; au second plan,
l’on distingue des espèces de taupinières, anciens tombeaux
ou tas de sel, derrière lesquels, tout à leur aise, les Boxers
tiraient sur les défenseurs de la gare. Ces jours sônt loin
déjà, mais on est bien obligé de s’en souvenir : de chaque
côté de la gare, un marsouin français et un soldat hindou
veillent, baïonnette au canon.
Les plantons italiens, autrichiens, allemands, viennent
remettre le rapport de nuit au capitaine anglais chef de
gare. Au loin, flottent des centaines dé drapeaux de toutes
les nationalités. C’est une sorte de manie qui sévit ici et
n’épargne personne : chaque local occupé par des troupes,
même une simple guérite, chaque magasin qui veut échapper
au pillage ou tout bonnement se recommander d’une
nation pour attirer la clientèle, arbore un pavillon d’une
couleur quelconque; d’où ce très curieux aspect de certains
villages, -semés le long de la voie : avant d’en distinguer
les maisons, les yeux sont saisis par un flamboiement multicolore.
Jusqu’à deux ou trois heures de Pékin, le pays est plat et
souvent immergé. C’est plutôt un vaste marécage. On cherche
les joutes sans les trouver."Une armée en marche, après la
saison des pluies, s’y perdrait tout entière. Des siks ou des
soldats blancs anglais, espèce rare en ce moment, ou d’autres
soldats européens, de loin en loin, occupent les gares ou stationnent
aux points stratégiques. Sur un sentier qui traverse
l’im m ense étendue marécageuse, on a la surprise d;apercevoir
tout à coup, bien campé, un chasseur d’Afrique. Et, d’autre
part, des nuées de Chinois, épiant l’arrêt le plus bref, se
précipitent, se bousculent jalousement, se confondent en
gentillesses, offrent pour rien, pour presque rien, presque
pas plus cher qu’au marché, des oeufs durs, du pain, des
pêches, des raisins, de la bière. C’est ainsi que nous avons