Le tao, c’est-à-dire la méthode pour arriver au souverain bien, Lao-
tseu le voyait dans le rêve planant au-dessus de la vie; ils le virent
dans la vie elle-même. N’étant pas bien sûrs du bonheur immortel
supra-terrestre, c’est sur la terre qu’ils voulurent être mortellement
heureux. Cette déviation même d’une doctrine à demi spiritualiste
d’abord montre bien à quel point le tempérament chinois répugne a
l’idéalisme. Pour s’acclimater en Chine, le taoïsme a dû, pour ainsi
dire, se matérialiser, s’enfermer dans le cadre des rites prescrits et
des superstitions traditionnelles.
C’est vers le Ier siècle de notre ère que la troisième religion de la
Chine, le bouddhisme, vint prendre sa place près de la religion peu
religieuse que Confucius avait réorganisée, et du taoïsme dénaturé.
Çâkya-Mouni, « le religieux issu de la famille des Çâ-Kyas », qui
devint le Bouddha, c’est-à-dire le sage parfait, était né à Kapilavas-
tou, sur la frontière indienne du Népal, au V I e siècle avant notre ère.
La tradition en fait un fils de roi : obsédé par l’idée de la douleur
humaine et anxieux d’en trouver le remède, il aurait quitté vers
l’âge de 30 ans — le jour même, selon certains, de la naissance de
son unique fils — la vie mondaine et voluptueuse qu il menait en ses
trois palais pour embrasser celle de moine errant et mendiant. Au
bout de six ans d’études et d’austérités inutiles, il se livra à la méditation
sous un figuier dont on montre encore le rejeton près de Gayâ
et crut enfin avoir découvert la voie de la Délivrance-
Sa première prédication aurait eu pour théâtre le Bois-des-Gazelles,
aux portes de Benarès. Pendant quarante-quatre ans, il parcourut
en tous sens l’Inde centrale, prêchant et faisant des miracles, et traînant
à sa suite nombre de disciples, devenus moines mendiants à son
image et qui tenaient comme lui de la charité des fidèles laïques des
deux sexes les quatre seules choses nécessaires : nourriture, vêtement,
abri, médecine. Ce n’est qu’avec la plus grande difficulté qu il
aurait consenti à admettre les femmes comme nonnes. Il mourut à
80 ans, près de Kouçinagara, dans le Téraï népalais, déjà regardé
par ses sectateurs moins comme un chef d’école que comme un dieu.
Au cours de sa longue carrière, il eut toutefois à lutter contre plusieurs
docteurs, fondateurs d’ordres rivaux, dont l’un au moins, celui
des Jaïnas, subsiste encore dans l’Inde alors que le bouddhisme en
a presque complètement disparu, sauf dans les montagnes de l’Hima-
laya et l’île de Ceylan. Sa doctrine réagissait également contre l’orthodoxie
brahmanique, en ce qu’il ne reconnaissait pas l’autorité des
Vêdas, niait l’utilité des sacrifices et des austérités excessives et
ouvrait à toutes les castes, sans distinction, avec la porte de sa communauté,
celle même du salut.
Les quatre vérités fondamentales du credo bouddhique sont l’existence
de la douleur, son origine qui est le désir, sa suppression qui
est la suppression du désir, et le chemin qui mène à cette suppression.
Egalement éloigné de la débauche et de l’ascétisme, ce chemin « mitoyen
» et « octuple » consiste à « bien penser, bien vouloir, bien
parler, bien agir, avoir de bons moyens d’existence, bien s’efforcer,
bien se surveiller, bien méditer ». Son terme est le Nirvâna : qui l’a
atteint est à jamais délivré du cercle des métempsychoses a plus de renaissance pour lui. » Le bouddhisme niant l’:e x«i sItle nnc’ye
substantielle aussi bien de l’âme que du monde, qui ne sont que des
séries composées de phénomènes, il s’ensuit logiquement que le nirvâna
est l’anéantissement total non seulement de l’individu, mais
encore de tous les éléments composant ou déterminant sa personnalité,
y compris son lcarma, c’elst-à-dire la résultante de ses oeuvres.
Mais sans doute cette acception du mot, comme la chose elle
même, n’était accessible qu’à ceux des disciples qui étaient parvenus
au plus haut des quatre degrés de la sainteté. Aux fidèles moins
avancés il était loisible de l’entendre d’une façon plus exotérique et
ils devaient même se contenter d’aspirer, non pas à l’abolition de
toute renaissance, mais seulement, en vertu de leurs mérites acquis,
à une renaissance meilleure en ce monde ou dans l’un des mondes
des dieux. C’est ainsi que le souhait favori d’une des principales
sectes du bouddhisme chinois est de renaître dans le paradis d’Ami-
tâbha : car on peut s’imaginer que les disciples de Confucius ou même
de Lao-tseu, préoccupés, avant tout, de faire à l’homme la vie moins
dure, se seraient mal accommodés du pessimisme dont le principe
fondamental est que la vie est mauvaise, et la conclusion que le
bonheur parfait réside dans l’anéantissement progressif de la vie.
(Eug. B u rn o o t, Introduction à l’histoire du bouddhisme indien, 1844,
in-4°; — Jos. E dkins, Religion in China; Londres, Trübner, 2e éd.,
1878M B sir Alfred C. L yall, Etudes sur les moeurs religieuses et
sociales de l’Extrême-Orient, trad. de l’anglais, Thorin, 1885, in-8°,
chL. vai d.)iffusion du bouddhisme en Chine fut rapide et rencontra, pourtant,
quelques obstacles. Aux périodes d’engouement succédèrent
des périodes de réaction. P ar exemple sous la dynastie des Thang
(viie au Xe siècle), dont le P. Gaubil a écrit- l’histoire, Li-Chi-min
obligea 100,000 bonzes à . se marier pour augmenter l’effectif de
l’armée chinoise, et si l’impératrice Wou-heou se laissa dominer par
un bonze favori, qui lui fit regretter sa confiance, l’empereur Wen-
tsoung supprima nombre de bonzeries : à ce moment (ixe siècle) on
évalue le nombre des religieux des deux sexes à 260,000, auxquels il
faut ajouter 150,000 esclaves. Ces monastères bouddhiques, généralement
situés dans des lieux reculés et montagneux (car le sage aime
à prier dans des solitudes peu accessibles) attirent l’attention des
voyageurs plus que les temples officiels. Marco Polo décrit avec complaisance
ces « grans moustiers et abbayes », petites cités qui étonnent
aussi le moine Rubruquis.
Pour la rigoureuse observation des voeux monastiques, les solitaires
chinois ne le cèdent pas aux nôtres. Le voeu de célibat est le
même, le voeu de pauvreté semble encore plus étroit, car, d’une part,
les bonzes s’astreignent à ne consommer qu’un peu de riz et de