de ses affaires ou de ses sentiments celui qu’il rencontre ou qu’il reçoit,
le Chinois s’applique à ne point parler de lui ni des siens, sinon
dans les termes les plus dédaigneux. I>e là ces efforts pour cacher
des sentiments très vifs, même un vrai chagrin, sous une indifférence
ou une gaieté de commande : pourquoi occuper l’étranger de
ce qui ne le touche pas?
On s’égaie aux dépens des puérilités de l’étiquette chinoise. E t il
est vrai qu’elle est fort compliquée. Il y a un gros recueil chinois des
règles de l’étiquette pour la prise du bonnet d’adolescent, pour les
mariages, les visites, les dîners (C. de H a rle z , I-Ià , Ze Cérémonial
de la Chine antique, trad. française, 1890, gr. in-8°, Maisonneuve).
Le visiteur doit feindre de ne pas oser aller chez son hôte; l’hôte de
ne pas vouloir se laisser déshonorer en se laissant prévenir, comme,
ensuite, de ne pas vouloir accepter le présent que lui offre le visiteur
confus. Tout s’arrange quand les salutations ont été bien réglées
: un nombre déterminé de tchin-tchin respectueux ou affectueux,
prononcés les mains croisées et agitées sur le ventre. L’hôte
rend la visite en apportant son présent aussi : « Il y a peu de temps
que je vous ai couvert de confusion en perm ettant que vous me visitiez.
Je vous prie d’accepter un présent en retour. » Le visiteur n’a
v garde d’accepter, au moins du premier coup, car, au fond, les présents
sont réglés d’avance selon les rangs,, et les sujets de conversation sont
réglés aussi.
Le moindre repas devient, dès lors, une affaire. Il y faut deux, quelquefois
trois invitations successives : la première, où l’on informe
l’invité qu’un repas insignifiant attend l’illumination de sa présence :
la seconde, pour faire connaître l’heure du repas, au jour même où il
doit avoir lieu ; la troisième, au dernier moment. Quand, après bien
des assauts de politesse, on est enfin assis à table, à des places spécialement
marquées et orientées (la place d’honneur est la plus éloignée
de la porte, parce que, pour s’y asseoir, il faut pénétrer plus au coeur
du logis), quand se succède, selon un ordre prévu, un nombre prévu
de plats, le maître de maison doit s’efforcer de servir son hôte, qui
doit mettre toute son énergie à l’en empêcher. Instruit, dès l’enfance,
de ce cérémonial, habitué à y accorder une importance supérieure, le
Chinois ne peut plus considérer les Européens que comme les gens
les plus mal élevés du monde. En refusant de nous plier à leur savante
politesse, nous paraissons avoir le parti pris de les froisser.
L’extrême variété et la singularité des mets chinois frappent vivement
tous les Européens qui viennent pour la première fois en Chine.
Voici un menu que donne M. Marcel Monnier : « Desserts : douceurs,
graines de pastèques confites, noix glacées, noisettes grillées au safran.
— Hors-d’oeuvre : poissons fumés au vinaigre de riz, oeufs de
canards conservés (5 ans) dans la chaux, crevettes à l’huile de ricin,
fromage aux pois. — Dîner : potages, pois au miel, pousses de bambous
d’hiver, crevettes au sucre, poisson sauce chrysanthème, soupes
aux graines de lotüs, crème de pois aux fleurs bleues, soupe de chrysanthèmes.
» Tout cela relevé par des sauces étranges. « Il est difficile
à un Européen d’apprécier le talent de ces artistes, à cause de la
saveur prononcée des ingrédients qui assaisonnent à haute dose les
mets chinois, et qui offensent au premier abord la délicatesse de
notre goût. Il n’y entre pas beaucoup d’épices. L’ail, la graisse,
l’huile plus ou moins nauséabonde y dominent. » (De Coubcy.) OEufs
de lézard, vers de terre cuits et séchés, chenilles salées, passent ainsi
sans trop de difficulté.
Plus de ragoûts de viandes diverses que de rôtis. Cependant,
M. d’Escayrac de Lauture (Mémoires de la Chine) a offert à des officiers
le menu suivant : 1er service : 16 soucoupes de salaisons et de
fruits, 12 plats ; & 2e service : 4 assiettes de petits pains sucrés ou
salés, thé, 8 plats. Rôtis, 4 plats. Il donne le prix de la viande de
boucherie à Pékin : livre de mouton, de 3 à 4 sous ; de boeuf, de 4 à 5 ;
de porc, de 10 ; de poulet e t canard, de 9 à 12. (Dans les provinces du
Centre, d’après Eug.'Simon, boeuf, 10 à 15 ; porc, 30 ; mouton, 20 ;
poisson, 10 et 15 ; poule, 35 à 50 ; canard, 40 ; bol de riz, 3 centimes.)
Les membres de la mission lyonnaise ont mangé du filet aux pommes
à Moung-tse et Yunnan-fou, mais constatent que, dans la Chine
centrale, le boeuf ne figure jamais dans le dîner. En revanche, on y
voit figurer quelquefois jusqu’à 10 plats de porc. Le boeuf est pour les
Chinois un animal sacré ; le veau participe en quelque mesure à son
privilège ; mais on mange couramment du pore et du mouton.
Les deux repas chinois, à 10 heures du matin et à 6 heures du soir,
• en font quatre en réalité, car, après les ragoûts; le thé, servi d’ordinaire
dans une autre salle ou au jardin (les maisons chinoises sont
construites entre cour et jardin) ne fait que donner des forces nouvelles
aux convives pour se remettre à un nouveau repas, sucreries,
fruits, confitures, bonbons, canards salés, coquillages, pâtisseries
(0 . G ira rd , France et Chine, 2 vol., Hachette, in-8°, 1869, t. II,
ch. xiv). On sert les ragoûts dans des bols de porcelaine à pied ressemblant
à des compotiers ; les fruits et les gâteaux dans des plats.
Comme on boit avant de manger, chaque convive a devant lui une
coupe pour le vin chaud, près d’une tasse pour le riz. L’apparition
simultanée d’une coupe de riz et d’une tasse de thé pour chaque convive,
annonce que le repas est terminé : il a duré souvent quatre
heures. Il n’est pas rare alors de voir les convives repus ingurgiter
encore des quantités considérables de riz. C’est la nourriture nationale.
On s’aborde en se demandant : « Comment avez-vous mangé
votre riz? » Cette nourriture'est à vil prix, et la grande masse des
Chinois ne vit que de riz cuit à l’eau et de poissons séchés.
On a vu que les oeufs, longuement conservés, sont un des mets favoris
des Chinois. Ces oetifs sont l’objet d’une préparation savante.
« Quand l’oeuf est bien réussi, la coquille se détache avec l’enveloppe
dont on l’avait recouverte, l’albumen prend la consistance de la gelée
et la transparence et la couleur du verre de bouteille ; le vitellus reste
jaune, mais se décompose. Ces oeufs ont souvent une petite odeur
d’ammoniaque que les Chinois ne trouvent pas désagréable. »